Scènes

Carnet de voyage : Roberto Negro, « Cahier Chine »

Pendant que l’avion nous emmène vers l’est, la nuit nous engloutit. Le ciel se couvre de noir en deux deux. On est comme une flèche décochée avec force aveugle dans le ventre d’une baleine à jeun…


Roberto Negro

(Traduit de l’italien)

Quelque chose ne tourne pas rond.

Pendant que l’avion nous emmène vers l’est, la nuit nous engloutit. Le ciel se couvre de noir en deux deux. On est comme une flèche décochée avec force aveugle dans le ventre d’une baleine à jeun.

Et puis il y a le temps qui t’aboie contre. Tu cours et il aboie. Mais sans te foncer dessus. Il galope droit devant toi et de temps à autre se retourne et aboie. Il a peur parce que tu bouges d’une drôle de façon. Il te comprend pas ce chien de temps. Pour autant il ne mord pas. Alors tu t’en vas tranquille et serein en Chine.

Après onze heures développées à onze mille kilomètres d’altitude, on arrive avec la bizarre sensation de ne pas avoir existé le temps d’une poignée d’heures. Celles qui finissent dans le trou noir qu’on nomme décalage horaire.
En ce laps, moi, je n’étais pas.
Je n’étais ni à Bastille à boire avec les copains, ni à Canton à me laver les dents de premier matin, avec une tronche de premier matin. Pendant ces heures-là, je n’étais pas. Dilué dans le ciel. Plus personne pour personne, à la fois un souvenir encore vif et une vague promesse. Mais rien de concret, ni d’humain. Vapeur. Des points de suspension.

Quelle heure était-il pendant ces heures ? Qui sait.
On atterrit plus vieux, mais sans en avoir fait l’expérience. Heureusement qu’on rentre dans trois semaines et on se reprend ce petit fragment de vie perdue là-haut, au-delà de pluie et courants, là-haut plus proche de la lune certes, mais loin de tout ce qui est nous. L’arbre germe, balançant racines, tronc, branches et feuilles. Et là on est feuille décrochée par le vent et promenée par foulées d’air et souffle d’albatros. Enivrée la feuille. Mais faudra reprendre le statut de tronc et branche. Sinon on devient fou. On est homme, pas nuage. Enfantés par la gravité qu’on est.

S’est-on jamais demandé pourquoi lorsqu’on pense « rêve » on pense au-dessus ? Pourquoi forcément en hauteur ? Pas droite, ni gauche, ni sous l’eau, ni derrière la porte. Enfin bon je veux dire on n’est jamais sûrs de quelles merveilles on pourrait trouver derrière une porte. Peut-être Lewis Carroll l’avait-il compris.
Là-haut donc. Détachés, lancés, catapultés, c’est ça qu’on veut. Et alors on prend des avions et on se déplace le plus vite possible. Parce qu’il n’y a pas de temps à perdre les gars. Le monde est grand grand GRAND, raccourcissons-le et avec un peu de chance et d’application on le verra en entier. Evidemment, en bougeant à toute vitesse la mise à feu se fait moins nette, on perd certains détails. On ne peut approfondir.

Et d’un coup Dieu nous traite de superficiels.

En fin de compte ces sept heures de décalage resteront toujours un mystère pour moi. Liquidées avant même de. Survolées. Tout à fait !

« Oui ! Voyager ! » chantait Lucio Battisti. Paroles baptistes. Et pour un musicien, voyager avec sa propre musique se veut définition, c’est faire ce qu’il a à faire. Certes. Mais c’est surtout se gonfler de joie, en distribuer aux quelques passants du soir et réaliser ses propres rêves de bambin - on n’est rien d’autre.

Qui sait, peut-être faut-il laisser les rêves horizontaux et serrés dans nos bras, la nuit, comme un enfant qu’on berce. Et les faire grandir avec nous. Sans toujours leur coller au cul.

Ou alors non. C’est très bien comme ça, détachons-nous d’en bas toujours et visons avec constance et substance – on l’espère – de l’autre côté, là-haut, le plus loin possible, hurlant « je suis le roi du m… »

On va s’arrêter là. On parle avion, non pas paquebot.
Et puis on va simplement jouer en Chine. Ni plus ni moins.
Sommes partis à onze heures le matin de l’aéroport Charles De Gaulle et, après onze heures de vol, arrivés à destination à heures cinq du matin suivant à Guangzhou, alias Canton en français - on mange leur riz en France a priori.

Mouais mouais. L’addition horaire est bancale. Quelque chose ne tourne pas rond. Et moi, en fin de compte, je mourrai sept heures plus tôt si jamais je choisis de ne pas rentrer.

On verra bien.
Il me reste dix-neuf jours pour me décider.


Pluie de Chine.

Trois jours en Chine et pluie toujours.

Alors j’écoute Vinicio Capossela et sa Pioggia di Novembre. Avec un peu de chance on conjure. Dans le train de Shenzen à Canton, de concert à concert. Les trois compagnons me dorment autour - encore une nuit de peu sommeil - le reste est Chine.
Braillarde qu’on penserait l’Italie.
Je note que sur l’enseigne verte des toilettes le mini homme vert est clairement plus grand que la mini femme verte en jupe verte.
Ils auront sûrement effectué leurs statistiques.
La pluie cesse - merci Vinicio - et le train freine à Canton.

Prêts pour day three.


Tour Schedule

november 21 @ Fuyou Club – CHANGHSA
november 22 @ Penny Black – SHENZEN
november 23 @ Talk Jazz – GUANDZHOU
november 25 @ Concert Hall with Eric Marienthal – GUANDZHOU
november 26 @ Xinghai Conservatory – GUANDZHOU
november 27 @ Xinghai Conservatory – GUANDZHOU
november 28 @ Xinghai Conservatory – GUANDZHOU
november 29 @ Old Heaven – SHENZEN
november 30 @ Ganesh Bar – WUXI
december 1 @ Ganesh Bar – SUZHOU
december 2 @ JZ – HANGZHOU
december 4 @ JZ – SHANGHAI
december 5 @ Marsalis Bar – TAIPEI
december 6 @ Marsalis Bar – KAOHSIUNG


« Ba »-bye Guandzhou.

Cinq jours de vie cantonaise et on repart.
Ce qu’on laisse derrière nous est dense.
Deux concerts aux Talk Jazz Club et conservatoire de Xhingaï. Trois jours de workshop au conservatoire de Xhinhgaï - sans doute une de mes plus belles expériences en tant que pédagogue. Un big show au Concert Hall avec Eric Marienthal, altiste du cultissime Chick Corea Electric Band. Eric est véritable star en Chine. Il ne propose pas tout à fait notre musique de prédilection mais l’expérience nous tente. Eric est personne exquise et joue avec l’énergie d’une cohue de gnous poursuivis le long d’une longue et raide colline par un amas de lions affamés depuis trois semaines. À la fin du deuxième morceau, en hyperventilation et la chemise gorgée d’eau et de sel je me suis demandé comment j’allais venir à bout de ce concert. We did the job.

Une série de jam sessions nocturnes et un instinctive blues au C-Union.


Pluie.
Trois merveilleuses compositions florales héritées du Marienthal show et échouées dans les chambres du Golden Bridge Hotel où elles tiennent compagnie aux premiers brouillons d’Adrien en chinois - il est à côté de moi et continue d’esquisser.

Mille-beaucoup - ne sais combien - de photos de nous quatre qui finiront probablement sur les Facebook open VPN d’élèves ou de spectateurs.
En Chine on capture avec constance.
Bière Tsing Tao. Peu de sommeil.


Encore pluie.
Federico Casagrande en forme resplendissante commence sa tournée avec The Drops. Toujours un plaisir rencontrer les meilleurs amis à dix mille kilomètres de chez toi. Fede, tu viens mourir sept heures plus tôt toi aussi ?

Ecrans télé en tout lieu : routes, clubs, taxis, restaurants, métro, trains à grande ou moyenne vitesse. Ecrans taille mini, standard, maxi.

L’autre nuit au C-Union, l’orchestre cubain débitait sa salsa au parterre enfiévré et les déhanchés des binômes salseros se faisaient de plus en plus circulaires sur un « Besame Mucho » qui aurait brûlé un moine en méditation sur les sentiers de la Chartreuse.

Parallèlement sur grand écran mural mouraient fendus par poignards et sabres des douzaines de japonais d’un film ultra violent. Poumons transpercés, bidons de sang, il y avait même Quentin Tarantino.
En gros ça dansait la salsa en contemplant un carnage.
Arrivée à Shenzen.
Ne pleut pas.

Shenzen était port de pêcheurs il y a trente ans, aujourd’hui petite ville périphérique de Canton. Quelques millions d’habitants à peine. Petite comme Paris.
Chine réglementaire.


Biberon (à une amie)

La douleur est comme enfant qui pleure. Tu ne sais comment y mettre un terme. Mais tu sais que jeter le tout par la fenêtre n’est pas la meilleure solution. Alors tu la prends dans tes bras, lui offre quelques caresses et un bon biberon tempéré.
Dodeliner la douleur.
Un de mes biberons les plus efficaces est le Requiem de Gabriel Fauré.

Porter la douleur c’est comme porter une part de mort dedans. Alors autant te coucher, t’abandonner à Gabriel à volume conséquent et dédier quarante minutes de ta journée à mourir.

Mais de mort douce. Ainsi agit son Requiem. Une mort sereine. Qui prend la douleur et la berce. Ne donne ni force, ni courage, encore moins volonté. Mais pose paume brûlante sur poitrine et lèvres humides sur front. Et après trois minutes du premier mouvement tu es surpris de ton sourire.

Le Requiem de Fauré est le dernier soupir. Le dernier rayon de soleil avant de fermer les volets. Tout horizontal, nul sursaut.
Une mer drapeau blanc.
Sur moi ça marche.


Allan prince des Indes

Nous sur la scène du Ganesh Bar a Wuxi. Les dernières heures d’un novembre qui cette année finit dans le goulot d’un vendredi soir.
Le bar est boucan.
De ceux qui sont venus fêter l’anniversaire - misère, les plus saouls au premier rang.

De ceux qui ont choisi d’enclencher le week-end par une partie de billard sous fond d’European live jazz.

De celui qui est seul assis à sa table et qui écoute. Attentif et recueilli. La tête bouge en synergie avec le son qu’on propose. Il nous écoute vraiment.
Eureka ! un client venu au concert pour écouter le concert.
En vérité il s’agit d’Allan, le boss du Ganesh. On le découvre une fois le concert fini lorsqu’il nous invite à nous assoir et trinquer avec lui. Voilà comment ça marche : à chaque échange verbal un choc de chopes. Gambei ! gambei ! gambei ! Quarante-deux tintements avec le même verre de bière.
Je les ai comptés.
Il se déclare content de notre performance.
We did the job, qu’on se dit.

Allan est peu de vanité, entrepreneur en baskets, à la tête des Ganesh Restaurant Jazz Bar de Wuxi, Suzhou e Nanjing, trois villes à l’ouest de Shanghaï. Le concept est singulièrement binaire : d’un côté un restaurant indien avec chef indien pour clientèle de Chine ou d’expatriation de moyenne ou haute classe. De l’autre des concerts de jazz. Parce qu’Allan aime le jazz. Il met de côté les deniers qu’il gagne avec le restaurant hype et en investit une partie dans la musique qu’il aime, en programmant des groupes en tournée par chez lui. Pas des plus rentables comme investissement, on le sait bien. Puissent-ils tous être comme lui.
Nous te vouons gratitude cher Allan.
Ce soir Chine, Inde et Italo-France en deux cent mètres carrés. Les frontières écrasées par le phénomène importation. L’import-export est une machine qui moissonne l’horizon et expédie des cartes postales de partout en tout lieu.

Allan est confort et discrétion. Le lendemain il nous déplace au Ganesh de Suzhou, deuxième étape du Ganesh Tour. Dans son grand Land Rover fauteuils de cuir propulsés par du Jamiroquai en furie. Jay Kay aussi aime les belles bagnoles. Connexion repérée. Et nous on chante en choeur « Virtual Insanity » en remontant le bitume qui sépare Wuxi de Suzhou. Et l’asphalte jusqu’ici ne nous a jamais abandonnés. Le béton est loi. Un credo, un pater noster. Les routes se font verticales et se transforment en tours. Bastions de béton armé jusqu’aux dents. Béton où courir, où dormir, tomber, se relever, manger, aimer, rêver, enfanter, rire et pleurer. Où mourir. Tout d’une seule couleur gris fumée. Gris sévère, gris marteau sur la tête, gris d’ici t’échappera pas. Entre une ville et la suivante il n’y a pas d’interstice. Il manque le vacuum qui te laisse le temps de digérer ce que tu viens de voir. La loge où tu t’habilles pour une nouvelle entrée sur scène. Cet espace fondamental qui apparaît quand, le paragraphe terminé, tu vas à la ligne ou change de chapitre.
Nous n’avons absolument pas perçu l’instant auquel Wuxi laisse sa place à Suzhou.
Et les tours s’émiettent en un ciel gris total lui aussi. Gris sur couche de gris. Nulle nuance. Une couleur et c’est tout. Serait-ce l’héritage suprême du parti unique, le gris unique ? Un parti, une couleur. Jusqu’ici on y est. On y est vraiment. Et au Ganesh de Suzhou c’est à nouveau Inde, Chine, Italo-France et vacarme.
Beaucoup barouf.
Au troisième set, vingt-trois heures, on parvient enfin à s’entendre sur scène. Simplement il n’y a plus personne. Personne excepté nous quatre, les salariés du Ganesh
Et Allan, qui nous sourit de sa chaise.



Taïwan
Taxi à l’arrière, on attache les ceintures. Les immeubles sont bas. Google fonctionne.
Voilà comment on change de pays sans changer de langue.
A souligner parallèlement que le chinois graphique de Taïwan est différent du chinois continental. La Révolution culturelle du siècle dernier a simplifié la calligraphie en République Populaire de Chine alors qu’à Taïwan on continue d’écrire un chinois traditionnel, certains diraient authentique.

C’est ce que nous raconte Jason, ingénieur du son et tourneur des Marsalis Bar de Taïpeï et Kaohsiung, nos dernières destinations pour cet Asian Tour 2012. Nous jouerons en configuration trio, séparés de Florent Briqué, rentré en France sa trompette sur les épaules trois jours avant les autres. Une belle rencontre sur scène pour tous les quatre. To be continued, dear Flo.

Fraîchement trentenaire, Jason a étudié cinq ans les arbres et la chimie du bois à Taïpeï. Pour ensuite s’extraire de son pays afin d’approfondir ses connaissances en ingénierie sonore à San Francisco un an durant. Il a mis de côté les arbres pour travailler dans le domaine musique. Et son aventure a démarré en 2011 au Marsalis. Il nous cueille à l’aéroport de Taïpeï pour nous suivre jusqu’à Kaohsiung le jour suivant.

Défilent les bières Tsing Tao de la ville de Tsing Tao, whisky on the rocks et Martini still on the rocks qui donnent temps à la belle Pei-Ling de nous expliquer que les relations politiques entre Taiwan et Chine ne sont pas tout à fait desserrées. Un détail peut illustrer : il est compliqué pour un Chinois de se rendre à Taïwan. Les démarches pour obtenir un visa sont longues et fastidieuses, alors que les Européens que nous sommes peuvent s’introduire en territoire taïwanais munis de seul passeport. Deux Etats bien distincts, Chine et Taïwan.
Alors pourquoi, à l’aéroport, les panneaux indiquent-ils :
« Taïwan - République de Chine » ?
Avec Adrien, on s’échange le regard numéro vingt-cinq du guide sur la communication via les muscles faciaux. Le coup d’oeil « C’est quoi c’machin » avec points d’interrogation et d’exclamation à volonté. Explication : à la fin de la guerre civile en 1949 est proclamée à Pékin la République Populaire de Chine, suite à la victoire des Communistes sur les Nationalistes. Les dirigeants de la République de Chine d’alors se replient à Taïwan et Haïnan. Depuis 1950, la République de Chine correspond à la seule île de Taïwan.

Ce qui sépare aujourd’hui Taïwan de la Chine c’est ce « populaire ».

Pei-Ling est professeur d’anglais en collège à Taipei. Elle est venue découvrir notre musique avec deux amies, elle a apprécié - dit-elle. Elle s’appelle aussi Pamela. Presque tout le monde, en Chine et Taïwan, a un deuxième prénom d’empreinte occidentale, par baptême ou pour faciliter le premier contact avec l’étranger en transit. Un peu plus de chances qu’il s’en souvienne.

Jason nous quitte la nuit de notre dernier concert a Kaohsiung après un traditionnel massage au Bali Internationl (sans le « a ») et un cobra pour dîner au marché nocturne. Histoire de venger Adam et Ève.
Il a un goût de poulet, le cobra.
Jason prend le bus de 4h30 et rentre à Taipei en cinq heures. Il doit enregistrer un trio avec Alex Sipiagin à la trompette et deux musiciens taïwanais. Un trio piano et deux trompettes. Et pourquoi pas.

A notre dernier concert se présentent une professeur de violon et des élèves du conservatoire de Taïnan, petite ville au nord de Kaohsiung. Deux heures de voiture pour emmener ses étudiantes à leur premier concert de jazz. On espère leur avoir transmis une envie de musique. Elles repartent après une série de photos comme prévu par le script. Encore deux heures pour rentrer.
Mieux vaut ne pas tarder. Demain y a école.


Riz cantonais à Canton

Le riz cantonais à Canton n’existe pas.


Le poisson et le gymnaste

Noir concassé en bord de lac.

Cette entaille de nuit qui précède tout juste tout juste le premier matin.
Quand l’aube tend son embuscade et que nous sommes les proies du nouveau jour.

Le suspense à son comble.

Goudron en circonférence, mais d’une seconde à l’autre le pays sera maculé d’une éclaboussure de soleil. Tout est sur le point de changer. On ne sait pas exactement quand.
Sur le point de.
La nuit nous a couverts il y a de cela quelques heures. Couverts de ce néant qui est tout. Parfois c’est le vide qui t’engorge. Et nous étions pleins. Submergés. Car la nuit crée de l’espace et s’éboulent alors les barrages que tu cèles.

En chemin vers nous-mêmes en bord de lac à Hangzhou, République populaire de Chine. Ce goudron n’a pas bougé depuis des heures. Mais nous savons que sous peu il sera éraflé et on ne fera plus marche arrière. L’égratignure deviendra déchirure et puis une seule et vaste lumière. Le rideau d’entracte retombé sur nous, nous irons nous coucher. Mais pour l’instant n’est tombée que l’attente et la tension, sa progéniture.

On s’accommode sur pierre, tels deux navires chargés de plumes, épines, fruits et jouets arrivés à port. Sur la superficie de l’eau semblerait flotter un poisson. La tête à l’envers. Dans les mains du courant, dans les bras de la mort. Le poisson se retourne lorsqu’il meurt car certains résidus d’air restent emprisonnés dans leur vessie natatoire, organe interne situé dans la cavité abdominale. Sac de gaz qui sert essentiellement à l’équilibre hydrostatique. Les poissons présentant un dysfonctionnement de la vessie natatoire nagent de manière décousue, pareille à la déambulation d’un ivrogne. Mais à nos pieds le sac de gaz marche très bien, c’est le poisson qui ne marche plus. Le voilà tout gonflé et les vagues le promènent sur le dos.

Adrien me donne ce cours d’anatomie quelques secondes avant l’apparition du fantôme. Tout droit sorti d’un arbre il vient vers nous mais pas contre nous. Nous, partie du cercle dessiné par le lac et lui, une tangente. Il passe en trombe, la démarche déliée, le pas court, tronc compact, épaules basses. Il se frappe le trapèze gauche de sa main droite comme par punition. Avec la régularité et la ténacité d’un échange entre deux champions de tennis de table - champions chinois bien sûr. L’Être passe et puis revient. Et encore. Ping pong je vous dis. Nous deux incrédules.
Sa vessie natatoire doit être perforée.
Petit à petit le fantôme ivre au bras mécanique nous apparaît plus comme un sportif de la dernière nuit. Exercices pour réveiller le corps avant que ne se réveille l’aube.

Arrivent les premières éraflures de lumière. Alors on se lève, on traverse un pont et on va dormir.

Encore aujourd’hui nous ne savons pas précisément ce que nous avons vu en cette dernière tranche de nuit a Hangzhou. Une peau de banane dans l’eau et un fantôme en transit, ou alors un poisson et un gymnaste.


Les sept heures

Au port d’Amsterdam nous trouvons plaine sous blanche neige, toute l’intensité du bleu dans le ciel.
et bien du blond sur la tête des gens.
Continent père identifié.
On rentre à la maison.
Avec grande envie de nous répéter en Chine.