Chronique

Roberto Negro

Kings and Bastards

Roberto Negro (p)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Après deux disques en trio (Garibaldi Plop et Dadada), Roberto Negro se lance dans l’exercice du solo. Passage obligé pour tout pianiste qui se respecte, cette pratique n’en reste pas moins difficile, tant le poids des prédécesseurs peut tétaniser l’aspirant au trône, le condamnant à une copie pâlotte ou, à défaut et pour cacher la misère, à un catalogue sans âme de ses capacités techniques. Ces dernières n’étant plus à démontrer chez Roberto Negro, il a relevé le défi en se laissant aller à son penchant pour les circuits non balisés. Avec un regard décalé et pince-sans-rire, il propose ainsi un travail qui n’a rien à voir - ni même à entendre - avec du déjà existant.

La construction d’une succession de moments qui se pense assez simplement comme une même et longue pièce lui offre l’occasion d’aborder le piano en articulant son approche en deux éléments distincts. D’un côté les sonorités d’origine sont détournées par des objets insérés entre les cordes et augmentées par quelques effets électroniques ; de l’autre, un Fazioli ou un Steinway B, entièrement nus, révèlent leur beauté naturelle. L’ensemble lui permet d’accumuler un matériau conséquent qu’il va ensuite organiser en trois lignes différentes.

Des sons longs atteignent la vitesse d’un voyage intersidéral aux scintillements synthétiques et à la mystique de pacotille tandis que, à l’inverse, des sonorités rondes et métalliques dévoilent une dimension percussive et déglinguée qui contraste fortement avec le vide des grands espaces. L’instrument naturiste, quant à lui, se promène tel qu’en lui-même, chargé d’un patrimoine classique où le romantisme le plus assumé peut même faire chavirer les cœurs.

Rien n’est simple pourtant et de la complexité naît l’abondance. Ces trois esthétiques finissent par se chevaucher, voire se contaminer. Elles s’enrichissent mutuellement au grand bénéfice d’un poème sonore sobrement lyrique qui, en se diluant dans le temps, finit par s’y affirmer, rendant hommage à cet instrument qu’est le piano et lui donnant toute son amplitude.