Chronique

David Enhco

Layers

David Enhco (tp), Roberto Negro (p), Florent Nisse (b), Gautier Garrigue (dm)

Label / Distribution : Nome

Le trompettiste David Enhco est le petit-fils du chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus, le fils de la cantatrice Caroline Casadesus et le frère aîné du pianiste Thomas Enhco. Ce qui, en soi, ne suffit pas à faire un bon musicien. Ni un mauvais, d’ailleurs. On s’imagine simplement que, baignant dans un environnement favorable depuis sa plus tendre enfance, il aura développé une sensibilité, un rapport naturels à la musique. Layers confirme cette intuition. Mieux encore, sachant aussi qu’il a choisi un instrument dont le timbre clair et puissant peut déraper vers des ambiances claironnantes, on est tout de suite touché par la volupté de son style, une délicatesse toute en rondeur qui rappelle évidemment ce monde du classique où le liant, le coulé, l’onctuosité sont des caractéristiques recherchées. Mais la technique, aussi savante et subtile soit-elle, ne suffit pas : on perçoit dans son jeu l’immédiateté et la douceur de celui qui, depuis toujours, manipule les sons avec une parfaite aisance.

On retrouve avec Layers le même quartet que sur La horde (2013), comme un chemin qui se prolonge : ces musiciens travaillent ensemble depuis des années, et chaque concert renforce leur entente, solidifie leur complicité à tel point qu’ils en deviennent indissociables de l’atmosphère d’ensemble, faite de lyrisme et d’élégance. En une dizaine de titres, parfois ponctués par un interlude, ils développent des thématiques évidentes puisées dans le registre universel des mélodies connues ou à peine devinées. Leur bagage renferme en effet tout un patrimoine jazz et classique (entre autres), et déborde littéralement de leur style ; consciemment ou non, ils en appellent, au détour d’une phrase, à tel ou tel air connu (il y a un peu d’« As Time Goes By » dans « Chanson un » et de « Moonriver » dans « Oiseau de Parhélie », par exemple). L’auditeur se retrouve alors en territoire familier, bien installé dans un intérieur cossu où il peut se détendre et se laisser emporter par les histoires qu’on lui conte.

Car la trompette, par ses inflexions, son grain moelleux, peut rappeler le chant et son récitatif. Cette voix tour à tour enjôleuse ou mélancolique prend le temps de construire un discours, de réserver des moments de suspension ou d’inscrire son improvisation dans l’ordonnancement équilibré que lui ménage la section rythmique. Elle avance avec assurance mais sans pédanterie, consciente du soutien indispensable que lui procurent les autres instruments. Les lignes mélodiques sont mises à l’honneur, les placements rythmiques mettent en exergue un savant usage de l’harmonie, ici via des couleurs chaleureuses sans dissonances excessives.

Par un subtil contraste - car tout se déroule sans heurts dans cet univers feutré -, le savoir faire de Roberto Negro apporte un décalage ironique, quelques sautes d’humeur (ou d’humour ?) qui agrémentent le propos et lui donnent une tournure plus désinvolte. Reconnu pour le liant de son jeu à la fois ferme et délicat il est, plutôt qu’un trublion, celui qui pondère les velléités trop sérieuses du leader. Sous leurs allures policées, ses interventions en solo (épisodiquement au Fender Rhodes) contiennent ce qu’il faut de surprises, accélérations ou cassures, pour stimuler le groupe et ceux qui l’écoutent. Dans les accompagnements, il est intelligemment en retrait mais affirme sa présence par des accords ou de petites phrases qui donnent un éclairage différent.

Derrière, discrètes l’une et l’autre, basse et batterie se mêlent au courant des mélodies, en suivent le déroulement - ou plutôt l’accompagnent -, le font gonfler, voire le bousculent. Florent Nisse et Gautier Garrigue leur permettent ainsi de résister et de s’assumer pleinement. Une écoute attentive du le jeu de Garrigue révèle ses vertus coloristes et son décadrage sans heurts. La délicatesse de sa prise de parole sur « Rude and Gentle » rappelle l’esthétique ECM - quand le temps devient espace. La basse, quant à elle, fait office d’assise et de repère. Avec corps et fermeté, elle offre même des contrepoints à la trompette lors de « Nancy With A Laughing Face » (jadis chanté par Franck Sinatra et interprété ici en duo). La proximité des deux instruments crée une sensation d’intimité dont la douceur nostalgique évoque ces lointaines années. Avec tendresse et parcimonie.