Entretien

Céline Bonacina, barytonne volante

Entretien avec Céline Bonacina, une des rares saxophonistes qui a adopté le baryton comme instrument soliste.

Céline Bonacina © Pierre Vignacq

On a bien sûr croisé Céline Bonacina depuis « Vue d’en haut », un premier album en leader qu’elle avait publié en 2005. Depuis, et notamment avec deux disques édités chez ACT, prestigieux label allemand, elle a multiplié les projets et enrichi un parcours constitutif de son identité de musicienne.

- On doit régulièrement vous poser la question, mais pourquoi avoir choisi le baryton comme instrument de prédilection ?

On me pose très souvent la question mais c’est logique. Je n’ai pas commencé par le baryton. J’étais jeune quand j’ai débuté le saxophone et j’ai d’abord joué de l’alto, notamment à travers un enseignement classique au Conservatoire. J’ai découvert le jazz par moi-même. Il n’y avait pas internet, alors j’ai écouté des disques à la médiathèque. L’enseignement que j’ai reçu c’est un enseignement classique et j’ai commencé à jouer du saxophone baryton en travaillant les suites de Bach pour violoncelle. Ce fut assez tard finalement d’ailleurs car j’ai commencé l’instrument à vingt ans. Plus tard encore, lorsque je suis allée vivre à Paris, j’ai eu l’opportunité de jouer du baryton dans plusieurs Big-Bands. Mais ce que je retiens c’est que très rapidement je me suis sentie bien avec cet instrument, l’impression de faire corps, d’être en osmose, comme une aisance naturelle. C’est pourquoi j’ai ensuite eu naturellement envie de développer mon jeu au baryton en tant qu’instrument soliste.

Céline Bonacina et Chris Jennings © Pierre Vignacq

- On imagine volontiers que le monde du saxophone baryton est réduit. En tout cas plus que le ténor ou l’alto par exemple. J’imagine que vous êtes à l’affût, tout particulièrement du jeu et des créations de vos homologues.

Il y a sûrement moins de barytonistes que de joueurs de ténor mais il y a tout de même un certain nombre de saxophonistes français au baryton qui sont importants. Je ne les citerai pas tous mais parmi eux, il y a Jean-Charles Richard, François Corneloup, Pierre-Olivier Govin et d’autres. Je suis d’autant plus sensible à leur jeu que je pratique moi-même l’instrument au quotidien.

- Et puis il y a la figure de Gerry Mulligan

Bien sûr que Gerry Mulligan est très important et je l’ai beaucoup écouté mais je ne joue pas dans son style et ce n’est pas tant l’histoire de l’instrument ou même de la musique qui m’a aiguillée mais plutôt mes expériences et mes rencontres.

J’aime beaucoup le mélange des cultures et des genres

- Reste qu’à vous associer au seul saxophone baryton, comme je l’ai fait d’ailleurs lors de ces premières questions, n’y a-t-il pas le risque de vous cantonner à un rôle d’instrumentiste et de ne pas voir la musicienne, avec ses phrasés et ses compositions ?

C’est un instrument, c’est sûr, mais si je ne jouais pas du baryton, je jouerais autrement, j’écrirais autrement aussi. En fait, je pense beaucoup par rapport à mon instrument. De plus, mine de rien, ce que j’entends à la fin des concerts c’est bien moins l’instrument en tant que tel que l’univers sonore auquel les spectateurs qui m’interpellent l’associent. Je ne me sens pas comme une instrumentiste et seulement ça et chaque fois que je me produis, je ne fais pas la distinction entre l’instrumentiste et la musicienne.

- Vous êtes passée par différents conservatoires en métropole avant une expérience de plusieurs années à la Réunion. Je crois savoir que cette expérience réunionnaise a été fondamentale. D’ailleurs le parti pris « ultramarin » de Nguyên Lê, avec qui vous travaillez régulièrement, vient-il en écho à votre expérience réunionnaise ?

J’aime beaucoup le mélange des cultures et des genres et Nguyên Lê s’est frotté à des univers très divers. C’est entre autres ce qui m’attire dans son jeu. De manière plus générale, j’ai été marquée par la fusion rythmique à la Réunion. Mon dernier projet Fly Fly est en trio mais j’ai un autre trio avec Hary Ratsimbazafy, un batteur malgache, et Olivier Carole, un contrebassiste martiniquais. Ce sont des musiciens inclassables, comme l’est aussi Nguyên Lê et la fusion des genres est réellement quelque chose qui me fait avancer.

Céline Bonacina

- Pouvez-vous nous parler du projet Megapulse ? J’imagine volontiers que c’est en lien avec votre activité d’enseignante.

Céline Bonacina Trio et le Megapulse Orchestra est le plus gros projet de ma carrière artistique et pédagogique. C’est énorme et c’est un lien entre mes activités de musicienne et mes activités de pédagogue. Il s’agit d’arrangements de mes compostions qu’a réalisés Didier Momo pour soixante musiciens. C’est un très gros projet qui a rayonné sur scène dans l’ex-Basse-Normandie et dans les Pays de la Loire avec des partenaires forts. Que ce soit Jazz sous les Pommiers, l’Europa Jazz du Mans ou la Luciole à Alençon. L’idée initiale est de faire se rencontrer jazz et l’Océan Indien, il s’agit de s’approprier ses rythmiques si caractéristiques. C’est un orchestre multicolore, tant de ce point de vue que parce qu’il y a de gros pupitres de saxophones, de cordes graves, de percussions claviers, de percussions digitales et avec également trois chanteuses. C’est un projet très lourd mais très enthousiasmant, avec beaucoup d’énergie et une impression d’être soudés. C’est très fort.

- Megapulse avec soixante musiciens et, dernièrement, il y a un projet de duo avec Laurent Dehors que vous avez enregistré dans le cadre du festival du Mans.

Oui, on est en duo mais c’est du minimalisme qui fait du bruit et c’est surtout un gros coup de cœur là aussi. En fait la captation au Mans a été réalisée sans public et on envisage de développer le projet pour le jouer au Mans et ailleurs. Moi, j’y suis au soprano et au baryton tandis que Laurent y joue de différentes clarinettes, basse, contrebasse, mi bémol. Il y joue aussi de la cornemuse. Mais surtout Laurent est un musicien extraordinaire et on arrive à ce projet que je trouve passionnant dans lequel on peut développer une palette de sons assez incroyable. De manière assez formelle, ça mêle certaines de ses compositions et certaines que j’ai faites mais on va plus loin dans nos jeux que jusqu’à présent.