Chris Potter Underground Orchestra
Imaginary Cities
Chris Potter : ts, ss, bc et orchestre.
Label / Distribution : ECM
Le mariage des cordes et du jazz n’a pas toujours été heureux : Parker, Tyner, d’autres s’y sont cassé les dents, le plus souvent floués par des producteurs pour qui guimauve, romance soporifique tenaient lieu d’idées. Rien de tel avec Chris Potter.
Songeusement introduite par un « Lament » qui plante un paysage mythologique puis y met feu, sa somptueuse suite Imaginary Cities ressemble à un concerto dont le protagoniste changerait d’être au fil des tempi : ténor profond, guitare idéaliste, ténor impétueux, marimba hutchersonnien virevoltant, piano noir comme la nuit des temps, soprano pensant par le roseau du hautbois, ténor taraudeur de silence passionnel, batterie ample opérant à l’instar d’un creuset où tout son trouve son sens, avec la contrebasse pour la cohésion d’ensemble.
Le ton est donné : Potter, compositeur lumineux, nous convie à une espèce de Graal où s’esquisse, en arrangements justes, en sons exquis, une réponse aux agressions du siècle. Les quatre mouvements (“Compassion”, “Dualities”, “Disintegration”, “Rebuilding”) cherchent, dans un lyrisme d’une émotion irrésistible, d’une vraie grâce collective, une voie de concorde et de consolation capable de bâtir pas à pas la déclaration d’amour qu’attend une autre humanité possible (une qui abandonnerait ses vieux oripeaux de certitudes méta-humaines jamais revisitées, peut-être).
Les trois pièces suivantes (“Firefly”, “Shadow Self”, “Sky”) se présentent comme autant de codas : le concerto se poursuit dans l’être de la basse électrique houleuse, du ténor acrobate à climax free, du vibraphone photophore, du quatuor à cordes utilisé comme hydre soliste, du piano satorique, du ténor (toujours lui) “gan-échoué” et croulant sous l’or et l’huile de libations orantes (merci aux sources du Gange, Aphrodite en procède)…
À cet univers qui convoque autant l’Afrique (par un déhanché endécaphonique ensorcelant), que la vieille Europe de Shostakovitch ou Martinu, un messiaenisme de fin du temps, les hymnes ancestraux cinglés par leurs orages, d’obsédantes tourneries en base 10, l’Inde carnatique roulée dans la couverture de survie du blues, prêtons l’oreille, donnons parole : il est urgent de l’écouter, d’en saluer les voies, le souffle qu’il ouvre majestueusement en nous.
Divin !