Scènes

Gaël Horellou au Triton

Fantastique prestation pour la première d’un quartet hors pair.


Photo : Gérard Boisnel

6 février 2015 à 21h au Triton (Les Lilas). Fantastique prestation pour la première d’un quartet hors pair : l’oiseau rare Horellou s’entoure de trois autres perles : aux drums le sensuel et pointilleux Paganotti, à la contrebasse le tellurique métronome Nyberg, au vibraphone le gymnaste - maillocheur, archetier - Patrois.

Le programme annonce la sortie en avril d’un disque électrojazz, Synthesis. L’ordinateur y mute en live les sons naturels (mais finement, avec parcimonie), nourrissant l’effusion sonore de textures martiennes qu’enclenche Shiva-Horellou, maître du jeu d’alto à main gauche.
L’identité très affirmée des compositions de l’altiste n’empêche en rien leur filiation tant au blues quintessencié qu’à la transe bop, à un space jazz pergolé chez le motoriste Strata East Records qu’à la drug music selon Terry Riley : « Atlantis » et « Constellation » - abysses salés, oosphère apesante - sont des titres qui attestent, sans fard mais hilares, leur inscription dans une lignée.

90 minutes de navigation ébouriffante à bord d’un groove infaillible. La lame de fond sonore, à la pointe du goût, est pur hommage au swing. Tout ici sonne ternaire, les walking basses relookées en patterns sorciers, Elvin Jones n’est vraiment pas loin ; pourtant l’esprit binaire des Seventies hante le millefeuilles rythmique construit comme un mécano de génie (la musicalité y transcendant la prouesse) : shakers en 10/8, quartolets au service d’un thème cavalcadant sur clairs damiers noir pointés, grandes envolées mystiques par paliers ascendants à faire pâlir Mahavishnu, mélodies ramenées à leur plus simple expression (si bien que, frôlant le gimmick de tube, on respire large en touchant un essentiel qui nous irise, oui, de poussière d’étoiles).

Gaël Horellou © Gérard Boisnel

L’histoire du jazz est là, à sa proue de fraîcheur - esprit qui sait transfigurer, par incarnation désirante, le relatif anachronique en absolu intemporel. S’y comptabiliseraient en effet la verve expressive, écumante de Bartz ou de McLean et le gros son électrique d’un Klaus Doldinger pratiquant l’U.L.M.  [1] à l’aplomb d’Iguaçu…

Cette débauche d’adjectifs peut sembler baroque, inutile, outrancière, mais l’offrande musicale qu’on essuie de plein fouet appelle des mots spéciaux. On tenterait presque - si l’on s’improvisait verbeux thésard musicologue - le terme de Lego-logos… Avouons-le : l’énergumène Horellou exalte, dégonde, rend ses lettres de noblesse à la folie douce (quoiqu’à la dure d’une impeccable discipline). Synthesis : cocktail explosif/implosif de personnalités aptes à dispenser l’émerveillement, à mettre à feu, grâce à huit mains et deux pieds, une joie sans mélange, communicative ; mieux : épidémique.

À ces quatre monstres avenants, heureux, à l’avenir radieux de leur très cohérent, jubilatoire ensemble : merci, merci, merci.

par Nicolas Maldague // Publié le 9 mars 2015

[1Et je ne parle pas ici de Normale Sup, quoiqu’on ait deviné dans l’ombre des Lilas la silhouette de Laurent De Wilde…