Scènes

D’ailleurs et d’Amiens (2)

la suite du (1) (non ?)


Carlos Maza remporte la palme - beau concert dans une salle vide pour Susana Baca. Les brésiliens ouvrent en beauté, Opus Akoben ferment le banc mais pas leur gueule.

« Après ce deuxième match, ils savent qu’ils vont souffrir chez nous ».
Citation bravache du coach de l’équipe d’Amiens qui se prépare, ce soir, à
accueillir pour deux matchs les venimeux Scorpions de Mulhouse. Enjeu : le
titre de finaliste du super 16 de hockey sur glace, compétition nationale. À
l’heure du JT, ce soir, la capitale picarde sera donc coupée en deux. Les
amateurs de « la plus populaire des musiques savantes » se rendront à la
MDC, à la rencontre de Richard Bona et des Texier (Henri et
Sébastien, pour les intimes). Les passionnés de glace pilée iront, eux, au
Coliseum, pour assister à un match du plus populaire des sports violents
(entendu que la distinction sociale française en cours réserve le rugby et
le jazz aux détenteurs de la culture légitime).

La veille, l’attachée de presse du festival se désolait sincèrement du tour
pris par le concert de Susana Baca, divine interprète péruvienne de cool
Bossa Nova. " On a rempli les sièges avec les invitations et les badges,
sinon la salle de mille places aurait été aux trois quarts vides ". Quand
elle chante, Susana aime plonger les yeux dans ceux de quelqu’un d’assis
juste en face d’elle. Tant pis, on se rattrape en sirotant des Pina Colada
et des Pitas, boissons brésiliennes assez douces s’il n’y mettaient pas
autant de gingembre, et en en évoquant le succès programmé d’Espirituvio,
l’album de Susana, applaudi par la critique. La cafétéria de la MCD est
gérée pour la durée du festival par une équipe de brésiliens incandescents.
Derrière le bar, le couple de barmen entame un pas de samba qui se
transforme vite en danse du faune et de la sylphide. Aujourd’hui, la
démonstration de capoeira de la batucada était proprement hallucinante.
Pendant le défilé de percussions qui a suivi, " les passants se sont mis à
danser derrière les musiciens. À la moitié de la rue piétonne, il y avait
cent mètres de picards gigotant derrière l’orchestre, avançant comme eux au
ralenti ". Boulot, parade, concert, bistrot, dodo à la saisons des amours.

Un jour, dans pas longtemps, on nous parlera de Carlos Maza comme de Mozart.
En attendant, le cubain a rejoint ce soir le fils du compositeur de Girl
From Ipanema, pour un concert en quartette dédié aux compos d’Antonio Carlos
Jobim. Maza donne toute sa mesure au piano : il est capable de suggérer, en
quelques touches de notes très rapides, l’ampleur de tout ce qu’il pourrait
jouer. La musique coule toute seul de ses doigts, en l’écoutant on repense à
Bartok qui parlait du vertige qui le prenait quand il pensait " à tout ce
qui reste à composer en do majeur ". Une fille de la master class raconte
sa rencontre : " ce type est un dieu de l’harmonie. Il arrive aux
répétitions les poches vides, quinze idées lui viennent à la seconde. Il
plaque un accord mineur, passe au majeur par des chromatiques pas possibles
en sifflotant. On lui fait écouter un air du moyen âge qui lui a plu, il
l’intègre sur-le-champ à sa partoche ". Ce soir, la petite salle retient son
souffle à écouter Maza faire ses pirouettes harmoniques. Jobim fils finit le
morceau, regarde sa montre, se lève et tient Maza par le bras " Dans dix
minutes, Carlos, tu auras vingt-neuf ". Standing ovation, petite musique
d’anniversaire.

Round midnight, un public dans l’ensemble à peine nubile se prépare à
ovationner les rappeurs d’Opus Akoben, septette fétiche de Steve Coleman et
signature vedette (avec SC) de Label Bleu, label de Jazz amiénois dont le
directeur artistique n’est autre que Pierre " on n’est jamais aussi bien
servi que par soi-même " Walfisz, également DA du festival. Sub-Z prend le
micro sur un contretemps de la batterie, dans un ensemble qui rappelle les
Roots : " Peace and love, brothers, we need so much peace and love at this
moment, ’cause of the so violent things happening today in the world ", et à
voir son air consterné, on pouvait être sûr qu’il ne parlait pas de hockey
sur glace.

par Ali B. // Publié le 28 mars 2003