Scènes

D’ailleurs et d’Amiens (1)

22ème édition du festival de Jazz et d’Ailleurs


La 22ème édition du festival de Jazz et d’Ailleurs à Amiens débute par un coup d’éclat du cubain Carlos Maza. Ainsi commence notre série de reportages quotidiens sur cet événement, grâce à la présence éclairée de notre correspondant itinérant, Ali B.

Tout commence à la MDC, la ronde Maison de la Culture aux formes Art Déco
qu’on dirait droit sortie d’un Fritz Lang. Juste en face, sous les arcades,
deux petits d’une huitaine d’années jouent avec un ballon violet gonflable.
Douce chaleur, fin d’après-midi, grâce du ballon qui vole, cris des
marmaillots impatients qu’il retombe. La soirée commence bien.
Un peu avant, le chauffeur de la manifestation m’a briefé sur une nouveauté
 : le nouveau directeur artistique du festival, Pierre Walfisz, nommé depuis
trois saisons, s’amuse à perturber les repères des habitués du lieu.
Endormis par le doux ronron du programme des dix-neuf années précédentes,
qui évoluait peu d’une année sur l’autre, les « cultureux » d’Amiens,
Télérama dans la poche gauche, le Monde sous le bras, sont réputés avoir du
jazz une conception plutôt académique. Pierre Walfisz ne leur facilite pas
la conception. Depuis 2000, il invite des DJ fous à mixer jusqu’à des heures
indécentes. Il défriche l’affiche « musique du monde » et prend de l’avance
sur la scène parisienne. En plus de la programmation amiénoise du festival,
il prend en charge l’éducation jazzistique du pays picard « d’en bas », en
lançant la « caravane du jazz », qui tournera d’Abbeville à Beauvais en
passant par Saint Jean aux Bois. Cette année, il invite Carlos Maza à faire
le concert d’ouverture du festival. Maza qui fait le premier soir de la MDC,
c’est un peu Jac Berrocal qui ouvrirait Marciac : une outrance virtuose, un
hurlement savamment contrôlée, un chien parkinsonien dans un jeu de quilles.

Tout a débuté un plus tôt. Vers 18h30, un défilé de Batuk Images, batucada
brésilienne assourdissante en maillots de foot, déferle dans la grande rue
d’Amiens : dix percussionnistes, deux danseuses, une foule de picards
incrédules devant tant d’énergie brûlée à danser sur place. Ça a l’air carte
postale, comme ça, mais à voir, c’en est presque brutal. " Un truc trapu qui
prend aux tripes ", dit la chanson.
20h30 : Juste avant l’ouverture, les gens de l’accueil de la MDC chuchotent
entre eux, un peu inquiets : Maza travaille depuis quinze jours avec une
douzaine de « stagiaires », des musiciens d’Amiens avec qui il monte un
spectacle inédit. Ce sont eux qui ouvrent la scène. Ils sont chargés de
provoquer l’étincelle qui mettra, ou non, le feu aux poudres. Petit instant
de calme avant la tempête.

Quand on entre dans une jungle, ou à défaut dans un jardin d’acclimatation,
c’est d’abord le silence. Puis surgissent l’un après l’autre un crescendo de
petits bruits qui font musique. Maza, c’est le contraire : ses quinze
musiciens stagiaires démarrent dans un maelström, un accord majeur de cuivre
qui monte de l’orchestre au balcon. Ensuite, le thème. Ensuite, les
interventions, par groupe de deux ou trois musiciens, qu’il pilote en
gigotant sur scène comme un pois mexicain. Le chorus de la flûtiste s’arrête
un poil trop tard, le contrebassiste et le percussionniste se jettent des
regards affolés, spéculant sur la fin du morceau. Ce garçon ne se serait
sans doute pas bien entendu avec Fürtwangler : le modèle du chef d’orchestre
à l’allemande, où l’orchestre joue comme un seul homme ne semble pas
représenter son but. Pourtant, l’ensemble est plaisant : Maza exulte au
milieu, fait des grands moulinets avec les bras, et prend le micro " Non à
la guerre, un million de fois non à la guerre ". La salle trépigne.
Ensuite, c’est pire : Maza le pois sauteur revient après la mi-temps, avec
son Pif Muderno, composé de deux flûtistes et de trois percussionnistes,
encadré par une section de cuivres, une guitare, un clavier et un accordéon.
Le fond de l’histoire qu’ils nous chantent, on le connaît. Ce sont les
rythmes et les mélodies traditionnelles du Nordeste. Mais on ne l’avait
jamais entendu comme ça racontée. Maza passe d’un instrument à l’autre,
donnant à l’orchestre un air d’école flamande façon Bruegel. Les chorus
collectifs sont hachés de silences, les musiciens regardent Carlos et se
basent sur ses trépidations. Efficace, pour le coup, plus une note qui ne
suive les hanches du jeune prodige cubain. Tous les quarts d’heure, un
couple de spectateurs ramasse ses affaires et quitte la salle, tandis que
les autres applaudissent à tout rompre. Par curiosité, j’ai regardé
leur poche arrière, pour voir : pas de Télérama.

A demain.

par Ali B. // Publié le 27 mars 2003