Chronique

David Linx/Brussels Jazz Orchestra

Deux regards sur « Changing Faces »

Label / Distribution : O+ Music

Enregistrer avec l’orchestre de son propre pays, le Brussels Jazz Orchestra, était un projet follement ambitieux dont rêvait depuis longtemps le chanteur David Linx. Un orchestre de rêve, un des meilleurs big bands européens, avec des instrumentistes stimulants, brillants solistes, déjà leaders par ailleurs.

C’est qu’aujourd’hui, David Linx, désormais rassuré sur la qualité de son chant, presqu’en paix avec lui même, se sait en pleine possession de ses moyens et ose changer de format tout en se faisant plaisir. Il est à la fois maître d’œuvre, chanteur et auteur sur cet album dont le titre Changing Faces, lui sied parfaitement.

Il a su trouver sa place par rapport à l’orchestre et dans cette configuration particulière, sa voix est un des plus beaux instruments au service de l’ensemble. Il impose maintenant sa manière, faite de lenteurs suspendues et d’un incroyable sens de la dynamique, le tout peaufiné de longue date avec différents groupes depuis le duo avec l’éternel complice, le pianiste Diederick Wissels. Au cœur de cette éclatante maturité, c’est la révélation d’un monde merveilleux, bien à lui, où se mêlent la passion des mots, l’amour de belles mélodies, l’art de restituer simplement la force de ces petites chansons qui finissent par former un répertoire.

Le programme, imposant, alterne douze titres arrangés par douze signatures différentes, des standards qu’il rend à merveille dès l’ouverture avec ce « Deep Night » soyeux, ou cet irrésistible « Then We’ll Be Home », mais aussi ses propres compositions, ciselées avec élégance et goût (« Down On Lovers’ Lane », « A Day’s Journey »), des moments forts avec l’improvisatrice portugaise Maria Joao comme sur « Miziane ».

L’orchestre joue sur du velours avec le travail « sur mesure » des arrangeurs, le pianiste Diederick Wissels, le saxophoniste Stéphane Guillaume ou Laurent Cugny que David Linx avait déjà accompagné dans le Personnal Landscape du Big Band Lumière, avant d’être un des trois rôles titres de son opéra La Tectonique des nuages.

La fin de l’album est plus ambigüe mais la « Sweet Suite » traduit ce qui est essentiel pour cet artiste généreusement enthousiaste, qui semble ne vivre que pour chanter. Porté par tant de joie et d’énergie, il éclate de santé vocale et phrase avec finesse. Tout se combine à cet objectif vital dans une dimension lyrique parfois emphatique mais si chaleureuse qu’on ne peut que se réjouir de cet épanouissement, enfin pleinement libéré.

(Sophie Chambon)


Comme d’autres tentent de renouveler l’art du trio, David Linx, lui, tente de renouveler celui du big band. Chacun sa sensibilité, sa formule ou son point de vue. Voici la recette du chanteur belge.

Prenez un des meilleurs big bands de la planète, le Brussels Jazz Orchestra, demandez à différents arrangeurs (Michel Herr, Stéphane Guillaume, Gyuri Spies, Laurent Cugny, etc. - il y en a 12 au total) de donner le meilleur d’eux-mêmes, invitez quelques amis chanteurs aux horizons différents (Maria Joao, Ivan Lins et Nathalie Dessay), laissez le talent et la magie de Linx agir et déguster sans plus attendre.

Cela peut paraître simple, mais encore faut-il y arriver. Et on peut dire que la réussite est totale. Bien plus qu’un plat très élaboré à déguster, c’est à un véritable festin que nous sommes conviés. Comment ne pas succomber en écoutant la délicieuse reprise de Joni Mitchell « Black Crow » ? Comment ne pas reprendre plusieurs fois de suite le lumineux « Then We’ll Be Home » ? Comment ne pas se délecter de « Por Toda Minha Vida » ? Tout cela se digère si facilement.

Il faut dire que la réussite de ce projet réside également dans la faculté du BJO à s’adapter aux différentes formules, tout en gardant son homogénéité et sa personnalité unique. Car c’est là que David Linx et Franck Vaganée frappent très fort : ils utilisent cette superbe machine en variant les intensités et en jouant avec les équilibres. À la manière d’un chef qui fait son marché, ils ne choisissent que les meilleurs accords - les meilleurs ingrédients. Ils utilisent parfois le big band dans son entièreté - tout en puissance - mais aussi parfois avec parcimonie, comme s’il s’agissait d’une petite formation. La dynamique musicale n’en ressort que plus forte et plus savoureuse encore. Dès lors, Linx peut tout se permettre. Tout lui réussit, il est en état de grâce. Le chant (même en portugais) est limpide, les scats ébouriffants (« Deep Night » ou « Miziane »), le timing toujours parfait. Cela force l’admiration. C’est un vrai bonheur.

Il faut souligner aussi la présence des différents solistes. Manu Codjia ou Minino Garay viennent pimenter, le temps d’une apparition, un ensemble déjà bien relevé, et les interventions de Kurt Van Herck (ts), Pierre Drevet (bugle), ou Bo Van Der Werf (bs) sont décisives. Quant à Nathalie Loriers, elle est éblouissante de justesse et de délicatesse au piano sur « Home In The Spring », mais aussi de virtuosité au Fender sur « The Land Of Joy ».

Mais il y a trop de choses à dire encore, et l’on risquerait d’omettre mille et un détails. Alors mordez à pleines dents dans cet album savoureux. Et si vous avez encore un petit creux, vous pourrez toujours télécharger un titre supplémentaire, arrangé par Bert Joris. Voilà de quoi être rassasié pour un bout de temps.

(Jacques Prouvost)