Chronique

Delphine Dora, Bruno Duplant & Paulo Chagas

Onion Petals As Candle Lights

Delphine Dora (p, piano préparé, objets), Bruno Duplant (b), Paulo Chagas (cl)

Label / Distribution : Wild Silence

Onion Petals As Candle Lights est la première référence du label Wild Silence, fondé par Delphine Dora, qui affiche d’emblée une identité visuelle, une vision de l’objet-disque (l’album est inséré dans une enveloppe colorée sur laquelle est collée une belle photo d’Amélie Vidgrain) ainsi qu’une esthétique sonore qui peut se démultiplier tout en conservant un rapport étroit avec l’ascèse, laquelle reste au centre d’une musique aventureuse et majoritairement improvisée.

Difficile de dire à l’écoute de cet album ce qui, du silence ou des instruments qui le façonnent, est le plus sauvage. Alors que le premier draine dans son absence de forme les vertiges de l’insondable, les seconds le traversent, le strient de diagonales, y déploient des surfaces lisses ou rugueuses, le teintent de couleurs bleutées, y définissent des zones d’expression ou d’abandon, lui donnent du fil à retordre en l’obligeant à s’insinuer dans des espaces redéfinis par les interactions, à continuer de vivre sous la contrainte de leurs chants. Et le grand vide devient sculpture.

C’est à travers dix miniatures que les improvisateurs expriment cet art de la mise en relief, dix pièces aux couleurs relativement uniformes mais que l’on parcourt avec une curiosité maintenue en éveil par la diversité des figures et la complémentarité des matières. Nul n’a ici le monopole des courbes, des accents ou des brisures. C’est au contraire par la recherche du contraste que les uns se positionnent par rapport aux autres, avec un souci constant de concision dicté par le respect des lignes diffuses, mises en lumière par ce trilogue comme autant de thèmes fantomatiques autour desquels articuler une narration partagée. Par la complémentarité des sons secs et métalliques issus de sa préparation et des notes minérales que la pédale forte contribue à rendre flottantes, le piano engendre de larges pistes ondoyantes où les clarinettes de Paulo Chagas tracent des courbes formées de notes tenues et rugueuses (principalement à la clarinette basse) ou de courtes ponctuations qui hachurent les éléments mélodiques pour mieux les mettre en exergue. En alternant la vibration étendue des notes jouées à l’archet et l’impact rythmique de rondes en pizzicato, Bruno Duplant utilise des procédés similaires, mais avec sa propre voix, sa manière à lui de préserver la dimension aérienne de son discours tout en jouant des textures épaisses et du placement autoritaire de sa contrebasse.

Grâce aux formes suggérées et le travail d’organisation des éléments qui laisse la musique respirer d’une part, et, d’autre part, à la volonté de parer celle-ci de sinuosités généreuses et d’en souligner les reliefs, le trio s’inscrit dans une démarche que la force d’évocation rend presque plastique, graphique. Deux morceaux, respectivement dédiés à Cy Twombly et Lucian Freud, ne manquent pas de souligner cette corrélation. Comme eux, les trois musiciens parviennent à imposer un univers puissant et unique, entre langueur et éclats bruitistes. Il ravira ceux qui s’abandonnent volontiers aux plaisirs de la rêverie.