Chronique

Dennis Gonzalez, Yusef Komunyakaa

Herido

Dennis Gonzalez (tp, tpette, flh, kb), Yusef Komunyakaa (voc), Mark Deutsch (bazantar, b, sitar), Susie Ibarra (d, perc), Sugar Blue (hca)

Label / Distribution : 8th Harmonic Breakdown

« Blues ! » : en un mot, le poète Yusef Komunyakaa réduit le public au silence quasi religieux, qui restera entier jusqu’à la fin du concert. La cathédrale Saint James de Chicago, la maison du Seigneur dans la ville du blues : Quel lieu pourrait mieux recevoir les lamentations de Sugar Blue encadrant les paroles de Please ?

« Please let me up off the ground » : Le blues est dans les mots, mais il est aussi, et surtout, bien au-delà, au service d’une poésie sans prétention mais pourtant riche, contant le quotidien d’une enfance et ses dures réalités. La puissance contenue de la voix, son timbre grave et pur, la lassitude, la poussière de la route enlevée de la veste du revers de la main, la voix qui traîne et qui répète, les semelles usées. Parallèlement, la résistance, la fierté et la détermination sont exprimées plus tard dans An old lowdown blues.

Dans la poésie de Komunyakaa, tout proche de l’évasion se tapissent la souffrance et la mort. Le jazz évoqué dans Jasmine est juxtaposé subtilement au racisme. La joie explosive de manger un fruit cueilli en cachette est préfacée par la description de lianes « assez solides et épaisses pour pendre un homme. » Manger du sucre ou écouter Elvis, sont liés par Komunyakaa à l’exploitation. Pour autant, cet engagement social ne se fait jamais au détriment de la musique ou de la poésie : Il sert plutôt à contextualiser les expériences et les scènes.

La musique autour de Komunyakaa n’est pas en reste. J’ai parlé du jeu de trompette et de l’écriture de Gonzalez dans la chronique de Home (voir chronique) et leur beauté se retrouve ici. Ses obbligatos derrière le poète, notamment, sont en totale osmose avec les paroles. Gonzalez est en plus un artisan : il a distribué à chaque spectateur un programme fait à la main spécialement pour l’occasion. Ce soin et cette générosité se ressentent très forts dans sa musique.

Une bonne partie des morceaux sont très peu denses, notamment grâce au jeu de Susie Ibarra, qui commente plus qu’elle ne rythme. Alors, les morceaux où le rythme se fait plus défini et propulsif créent des contrastes bienvenus et les trois plages instrumentales permettent aux musiciens de s’exprimer plus librement sur la thématique de Komunyakaa.

Chaque musicien a l’occasion de jouer en duo avec Komunyakaa. Sugar Blue prolonge l’évocation « roots » du blues en évoquant le vieux sud rural et noir aussi concrètement qu’un shakuhachi la campagne japonaise. Mark Deutsch donne des airs d’ailleurs à son blues joué au sitar et au bazantar (instrument qu’il a inventé, mélange de basse et de sitar), mais revient au bercail à la basse électrique et funky. Tout en accents et couleurs, Susie Ibarra rehausse subtilement les discours du poète et des musiciens.