Sur la platine

Éliane Blaise - Drowned Mermaids

Rencontre avec une sirène du violoncelle


Violoncelliste et artiste sonore, la discrète Éliane Blaise, née en 1972, développe un projet solo intitulé ǽƒv mêlant violoncelle, voix et électronique.

Cinq compositions réunies sous le nom de Drowned Mermaids sont parues en février 2020 sur le label Nostalgie de la boue : « Shyness », « Drowned Mermaids », « Her Dark Light », « Belong », « Endless ».
Elles nous embarquent sur un navire chasseur de bruits, dans une exploration sonore sensible riche de détails.
Ces sirènes-là ont, par moments, l’inflexion d’une voix lointaine, calme, grave.
Elles ouvrent, à d’autres, des profondeurs à perdre la mémoire.
Elles peignent en tout cas des états subtils qui intriguent et donnent envie d’en apprendre davantage sur l’artiste.

Eliane Blaise

Rencontre avec éliane æfv

- Quelles ambiances, quel état émotionnel, quels sentiments président à la création de ces pièces ?

Les ambiances sont, la plupart du temps, le calme, l’isolement comme me plonger dans la contemplation d’un paysage, d’un tableau ou bien encore de regarder le mouvement de la mer depuis des dunes. Mon studio par chance se trouve dans une petite maison en proche banlieue de Paris non loin des bords de la Marne ; il est au milieu des jardins des maisons voisines, avec lui-même un petit jardin. Le calme est presque omniprésent, de jour comme de nuit. Ce lieu est propice à la quiétude, à la concentration et à la contemplation nécessaires à la création et à la post-production aussi. Cela me permet de me retrouver avec mon instrument, le violoncelle, et la membrane fine formée par mes instruments électroniques et autres filtres composant mon studio de musique.

Il y a alors comme une espèce de solitude comme état émotionnel premier et second à la fois ; non pas la solitude accablante, mais celle que tu ressens lorsque tu lis seule, chez toi, celle du plaisir à effectuer ou réaliser quelque chose pour toi et toi seule, comme encore aller au cinéma, dans une petite salle. À cela s’ajoute une exigence au jeu des instruments, mais le plaisir de la musique, de sentir, entendre, voir les éléments des pièces, des morceaux prendre forme et corps, alimente à son tour ce sentiment et fait naître d’autres émotions.

Ce lieu abrite aussi une petite histoire de musiciennes… L’ondiste (joueuse d’Ondes Martenot) Nathalie Forget a posé quelque temps ses Ondes et diffuseurs ici autour de l’année 2015, elle trouvait l’ambiance propice à la composition. La musicienne italienne Mushy (Mannequin Records) avec qui je collabore parfois y a trouvé un espace mental intérieur pour avancer sur son prochain album. Il y a trois ans, lorsque nous fûmes interviewées toutes deux dans l’émission Event Horizon (sur LYL Radio) créée par les musiciennes Gaël Segalen et Christine Webster (fondatrices de Polyphone, collectif musical dédié aux femmes dans la musique expérimentale et plus), elles surnommèrent ce lieu « Studio Segreto ».
Aujourd’hui, la musicienne EdH (qui a co-dirigé le label Lentonia Records pendant dix années avec la musicienne Elmapi) partage ce lieu, ce studio et bien plus avec moi. Dans cette ambiance calme où les oiseaux chantent, nous sommes affairées, et à nos prochains albums et à un projet commun !

- Comment ça se passe pour vous, l’état de création ?

L’état de la création peut prendre plusieurs formes ! Cela peut partir d’une idée, d’une envie, d’une demande. Il y a parfois comme une petite dérive avec l’état initial. Je ne ferme aucune possibilité tout en essayant de rester concentrée sur ce point d’horizon ou bien cette étoile dans le ciel — c’est une analogie que j’aime bien. Il y a des essais, des petites phases de recherche, une part technique, de la composition. Cela pourrait ressembler à des ébauches, des esquisses se précisant et s’affinant petit à petit. Je passe beaucoup de temps sur de petits détails. J’aime réécouter les tests et autres essais à différents moments de la journée, avec différents états de fatigue, émotionnels ou pas. L’état de création me demande du temps, temps que j’aime prendre. Il y a rarement de l’urgence dans cette étape. Je pense aussi beaucoup à une certaine part technique et d’organisation qui préfigure, préside à l’enregistrement. Je n’hésite pas à revenir en arrière sur l’ouvrage.

- Est-ce qu’il y a une « mise en condition » qui préside à ces enregistrements ?

C’est difficile à exprimer. En premier lieu, me sentir prête moi-même, avoir vérifié la partie technique et que celle-ci soit pleinement fonctionnelle pour les enregistrements eux-mêmes. Mais le plus important est probablement, voire très certainement, de sentir les choses, ces sensations et émotions décrites dans mes réponses précédentes doublées d’un élan me lançant pleinement dedans. C’est une sorte de spire qui s’alimente elle-même par tout ce qui la compose avec moi quelque part en elle !