Sur la platine

Délier le méli-mélo d’Amalie Dahl

Petit tour d’horizon des derniers projets enregistrés de la saxophoniste danoise.


Si son groupe Dafnie est son activité principale (retrouvez la chronique du dernier disque ici), la saxophoniste est présente sur plusieurs récents enregistrements présentés ci-dessous. Qu’elle soit en solo, trio ou quartet, elle reste très identifiable, assurée et inventive. Avec un début de carrière aussi prometteur et fulgurant, il faut s’attendre à des belles surprises pour l’avenir.

Avec le trio Treen, composé de musicien·ne·s de la scène de Copenhague, Amalie Dahl se laisse porter par le flux d’une improvisation très marquée par le rythme. De nombreuses sonorités issues d’objets divers (que font résonner les trois membres du trio) viennent éclairer et accentuer le discours mélodique. La fabuleuse Gintė Preisaitė au piano (que nous avons déjà repérée et présentée) est ici à l’aise en tant que pianiste, alternant et superposant un jeu au clavier et des bruissements divers. Son goût pour les explorations électroniques se fait sentir aussi dans la forme et les structures des morceaux du projet, notamment par le mode répétitif. Jan Philipp, batteur allemand associé à la fois à la scène de Cologne et à celle de Copenhague, est aussi connu pour ses productions et son sens du mixage, qu’il applique sur ce disque. C’est dans ce contexte débridé, moderne et assez serein que la saxophoniste déploie ses volutes avec une certaine retenue, un voile sur le son qui l’adoucit, des attaques tout en finesse qui produisent des effets harmoniques et une belle maîtrise des silences.
Baob_ n’est peut-être qu’un coup de maître isolé, l’avenir le dira, mais le trio Treen est de ceux qu’on a hâte d’écouter sur scène.

Avec le quartet Noize R Us, la saxophoniste s’embarque dans un projet radical, bourré d’électronique et de saturation. Il s’agit d’interroger la notion de bruit. Qu’est-ce que le bruit, et est-il convenable ? Les titres des morceaux forment un corpus littéraire qui posent ces questions. L’album est également introduit par cet exergue : « Thanks to everyone who doesn’t start a war and listens to music instead. Peace. ». Noize R Us est donc non seulement engagé dans la réalisation d’une musique bruitiste, industrielle et tendue, mais également porteur d’un discours politique. L’équipe basée à Trondheim en Norvège se compose d’une guitare, une guitare basse, une batterie et le saxophone alto de Dahl. Tout le monde rajoute en temps réel des effets électroniques qui, à l’instar des sonnailles sur les percussions africaines, viennent brouiller le message et rendre vibrante l’onde qui le transporte. Là encore, Amalie Dahl se fond à merveille dans ce décor électrique et métallique pour proposer des envolées saturées et longues.

Elle est membre d’un autre trio avec lequel elle a fait une série de concerts en Europe. Le trio Amalie Dahl, Henrik Sandstad Dalen, Jomar Jeppsson Søvik a enregistré un premier projet en 2022 (Fairytales For Daydreamers) et propose à l’écoute les enregistrements de deux concerts, l’un à Prague et l’autre à Bruxelles, captés en mars 2023. La configuration acoustique du trio contrebasse, batterie, alto sax est classique et laisse aussi une grande liberté dans l’interaction et dans l’appréhension des silences et de l’espace. Les trois musicien·ne·s sont à égalité dans un triangle musical équilibré, les interventions ne se chevauchent que rarement, il y a une parole qui circule, qui crée une conversation, un échange. La batterie de Søvik est très en phase avec le sax de Dahl, comme s’ils avaient trouvé une façon de s’imiter mutuellement. La contrebasse de Dalen vient souvent opposer un discours souple, rond et bondissant aux traits tranchants et parfois secs des deux autres protagonistes. Amalie Dahl est très à l’aise avec ce type de trio libre, inventif et qui implique autant les musicien·ne·s que les auditeur·trice·s.

Enfin, avec Memories, la saxophoniste se prête au difficile exercice du solo. En quatre plages, elle démontre une inventivité sans bornes. Le saxophone est tour à tour un instrument, un porte-voix, une percussion ; elle passe d’un son pur et clair à des grondements plein d’air et de parasites. Elle propose de petites cellules mélodiques, dans la tradition des solos de jazz, y compris dans une tradition historique, puis bascule dans des esthétiques plus free, plus caractéristiques des avancées de l’improvisation actuelle. Toujours avec un son qu’elle a su développer, dans la veine des saxophonistes alto scandinaves, tranchant, un peu sec avec des aigus maîtrisés et une certaine retenue qui rend le débit légèrement nonchalant. Avec toujours ce sens du silence qui rend la narration si intéressante.