Chronique

Franck Tortiller

Sentimental 3/4

Franck Tortiller (vib), Patrice Héral (dm, voc, elec), Vincent limouzin (vib, mar, elec), Yves Torchinsky (b), Jean Gobinet (tp, flh), Herbert Joss (tp, flh), Eric Seva (ss, ts, bs), Bruno Wilhem (as, ts), Jean-Louis pommier (tb), Michel Marre (tu, flh), Eric Bijon (acc)

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

L’orchestre de Franck Tortiller, qui a survécu à son mandat à l’ONJ, est à lui seul une belle alchimie. Arrivé tout formé aux commandes de la vénérable institution, l’orchestre continue donc à évoquer dans un esprit de fanfare un jazz sophistiqué et polymorphe qui n’oublie pas que son leader vient du bal, où l’efficacité et la pulsation sont au service d’une poésie de l’instant.

Avec ce groupe, Tortiller, vibraphoniste sachant faire jouer son groupe avant de se mettre en avant, est déjà allé dans plusieurs directions, convoquant Led Zeppelin avec Close to Heaven ou bien les valses, la valse sur ce Sentimental 3/4. Mais dans tous les cas la musique est d’abord celle du groupe ; gracieuse, légère, elle est portée par le vent d’une ligne de soufflants remarquables, rejoints - style oblige - par l’accordéoniste Eric Bijon. Une musique qui se prête à la valse et ses moments d’oubli précieux et de griserie autour des jolis thèmes de Tortiller et de ses courtes reprises, comme ce « Domino » de Claveau, petite perle d’émotion pure perdue au milieu de ses danses imaginaires, et soutenue par un Michel Marre plus que jamais dans son élément.

Tortiller s’offre avec « Valse 1 », morceau pivot de l’album, une sorte de revue d’effectif de tout ce que le groupe aura construit colletivement. Parmi les solistes, l’excellent tromboniste Jean-Louis Pommier ajoute çà et là un lyrisme corrodé, patiné, qui ne tient parfois qu’à un souffle.

Il y a quinze ans, Tortiller évoquait Jacques Tati dans un album en trio. Il y a ici comme des ombres d’Hulot, de son élégance dégingandée et de sa poétique des faubourgs, dérisoire et magnifique, qui hante les arrangements soignés du vibraphoniste.

Sentimental 3/4 est une réussite totale, qu’il soit soutenu par la rythmique de danse signée Patrice Héral, batteur venu comme son leader du Vienna Art Orchestra et membre du prestigieux Max Nagl Ensemble, ou par la délicatesse d’Eric Seva qui, en quelques notes, évoque un lieu ou une ambiance, réelle ou imaginaire. C’est tout son charme. Seva qui propose d’ailleurs l’un des plus beaux thèmes de l’album : magnifique « Rue aux Fromages » évoquant un Bruxelles de bière dorée et de pavés luisants que l’on retrouvera dans la douce joie de Gus Viseur, passerelle de toujours entre jazz et musette, et résident à vie de la Place de Brouckère. C’est cependant le dernier morceau, le classique « Impasse des vertus » qui donne la clé de l’album en laissant un goût de « live » à une musique construite pour la scène, même si elle s’épanche bien en disque. Une musique de l’instant, enivrée et légère, réjouissante et indispensable.