Chronique

François Lana Trio

Cathédrale

François Lana (p), Phelan Burgoyne (b), Fabien Iannone (dms)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

Il arrive parfois qu’un disque vous surprenne dans tous les sens du terme. Parce qu’on ne l’attendait pas, que les musiciens qui le composent sont plus ou moins passés jusqu’à cet instant sous les radars, fussent-ils puissants, et parce que le format -un trio piano/basse/batterie- est de ceux que l’on classe de prime abord dans la catégorie « Ah. Oui. D’accord… Encore… ». Et puis quelques détails vous font douter : François Lana, le pianiste, est un jeune Français installé en Suisse, à Zurich, pas très loin des esprits frappeurs de Lucerne. Leo Records, la vénérable maison qui édite le disque, n’est pas du genre à faire dans le réchauffé. Dans les notes d’intention, on voit certes Monk, mais aussi et surtout Andrew Hill (un très beau « Hillness » lui est dédié, avec une main gauche redoutablement précise au piano et le drumming très efficace de l’anglais Phelan Burgoyne) et Herbie Nichols, figures moins brandies ces dernières années.

Alors soit : pénétrons dans cette Cathédrale où l’espace est large et chaleureux et où les constructions sont des plus précises. « Black Socks No Sugar », au centre de l’album, offre un très beau point de vue. On y entend la contrebasse tranchante de Fabien Iannone, qui donne à ce morceau un aspect très anguleux, même lorsqu’il s’échappe quelques instants dans un solo profond, vite rejoint par une batterie très coloriste, quoique relativement discrète dans son approche ; Lana a travaillé avec Marcel Papaux, et l’on retrouve chez Burgoyne ce même goût pour la ligne claire. Plus loin, avec « Nocturne », on entre dans une autre atmosphère plus cotonneuse, renforcée par un écho étrange, un peu nébuleux, qui s’impose sans rien sacrifier à l’économie de geste et à la douceur alentour. Les compositions de Lana sont empreintes d’un goût pour la tradition, sans pour autant s’y enfermer, comme un port d’attache (« Cathédrale », plus abstrait, montre que les chemins peuvent être multiples).

Enregistré sur un 8-pistes à la maison, le disque est marqué par une certaine culture de la débrouille et du bricolage qui ajoute à l’atmosphère du disque, et une approche très personnelle qui fuit intelligemment la joliesse. Certains sons apparaissent altérés, fruit de l’influence du dub. C’est ténu, ça ne prend pas le dessus dans le propos et ça ne sonne pas comme un gadget, mais plutôt comme une distanciation, un décalage induit dans une musique assez référentielle. C’est une démarche très personnelle qui ajoute un peu plus de personnalité à un disque déjà très mature. C’est surtout l’occasion de découvrir trois musiciens que l’on va s’empresser de noter dans un coin de calepin. Il est acquis qu’il occuperont le paysage dans les années à venir.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 mars 2021
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