Scènes

Grands Formats met cap au sud

La rentrée de Grands Formats se tenait cette année à Aix-en-Provence


Theorem of Joy © Franpi Barriaux

Rendez-vous devenu familier, les Rentrées de la Fédération Grands Formats sont l’occasion pour les orchestres de plus de huit musiciens d’animer l’automne. Chaque année, un temps fort dans une ville de l’Hexagone marque la rencontre des acteurs de la Fédération pour un temps plus long, émaillé de concerts. Cette année, c’était à Aix-en-Provence que Grands Formats célébrait sa seizième rentrée, avec une formule renouvelée : alors que les collectifs ont rejoint l’association depuis presque cinq ans, c’est la première année qu’une soirée leur était consacrée, avec trois formations plus ramassées : un duo, un trio et un quintet, avant de retrouver le lendemain un orchestre plus fourni, Initiative H de David Haudrechy, qui fêtait ainsi ses dix ans.

C’est au Petit Duc, une salle du centre-ville d’Aix-en-Provence, que Grands Formats accueille son traditionnel débat consacré à une question cruciale et centrale de nos musiques : « Quelles transmissions dans le jazz et les musiques improvisées ? » ; les réponses sont multiples, toutes très politiques, un paradigme qu’ont bien saisi bon nombre de collectifs, ce qu’illustraient il y a quelques années les rencontres Collision Collective et l’implication de nombre d’entre eux dans les quartiers populaires. L’ARFI avait commencé à construire cela dès les années 70 et d’autres plus jeunes, comme Les Vibrants Défricheurs ou le Capsul Collectif, ont continué à bâtir. Il y avait d’ailleurs un air discret de Collision Collective et de ce que nous avions appelé ici la République des Collectifs dans le choix des musiciens en jeu ce soir-là au Petit Duc. À commencer par le président de Grands Formats, Alexandre Herer, qui se produisait en duo avec Juliette Meyer, représentant ainsi le collectif Onze Heures Onze.

Juliette Meyer © Franpi Barriaux

Le Petit Duc est de ces lieux miraculés du Covid, qui ont su proposer des alternatives. Petite salle intimiste à la programmation ouverte et curieuse, il propose à chaque concert une offre de VOD de qualité qui permet d’élargir le public touché. L’initiative, qui ressemble à ce que proposait AdLib mais qui perdure dans le temps, fait partie de ces outils utiles à la transmission, qui rendent grâce à des performances comme celle de Herer et Meyer : le premier, au Rhodes, propose des promenades et des rêveries qui font immanquablement songer à Jozef Dumoulin ou aux climats du Label Neither/Nor, assez proches des esthétiques de Onze Heures Onze. La seconde se partage entre babil et feulements, toujours sur le fil, avec un sens théâtral évident qui se traduit plus aisément sur scène ou sur support filmé. L’entente entre les deux est simple et foudroyante, d’une lasciveté palpable.

Daumenkino Trio © Franpi Barriaux

Comme pour montrer la diversité de la Fédération sous toutes ses facettes, le duo cède la place au Daumenkino Trio, issu du Capsul Collectif de Tours. On les connaissait avant sous le nom de Vocuhila, mais afin de ne pas interférer avec son grand frère électrique, Maxime Bobo et sa bande ont changé de nom, pas d’énergie : la contrebasse de Jean-Jacques Goichon claque avec fierté dans des premiers instants qui doivent beaucoup à Ornette Coleman. La musique du Daumenkino va droit devant, sans se poser de question inutile, sans cependant céder à la facilité, à l’image de la batterie d’Étienne Ziemniak toujours sur la brèche, s’offrant de délicieuses explosions. Quant au saxophoniste, il n’est jamais en reste, percutant la base rythmique avec une allégresse lesté de dispositifs électriques et de leurs pédales retorses, un plateau coup-de-poing idéal pour asseoir la centralité de la Fédération dans les différentes couleurs de nos musiques.

Héloïse Lefebvre, Ellinoa © Franpi Barriaux

C’est le quintet Theorem of Joy qui clôt cette très belle soirée avec une autre proposition. On connaît la musique de deux membres anciens de Grands Formats qui composent cet orchestre, Thomas Julienne et Ellinoa. On se souvient aussi de L’Hiver, beau disque paru l’an passé et qui semblait vouloir embrasser le monde dans sa pluralité. Voilà qui fut sans conteste le sommet de cette soirée, la musique de Julienne se révélant toujours d’une clarté rare avec l’excellent et coloriste batteur Tom Peyron, le violon d’Héloïse Lefevbre sondant tous les possibles d’un cosmopolitisme revendiqué et chaleureux. On l’avait compris dans le disque ; c’est d’autant plus limpide sur scène : si la contrebasse est la boussole d’une musique qui picore dans les traditions moyen-orientales comme dans le rock énervé des grands lacs de la Rust Belt en passant par quelques raffinements canterburyens, le violon est, au milieu des cordes (ajoutons la guitare de Kevin Lazakis, nouveau venu dans l’orchestre), la ligne de fuite qui permet tous les dialogues possibles avec la chanteuse du Wanderlust Orchestra. Rien de neuf de ce côté-ci, ou plutôt un renouveau permanent : qu’elle chante ou qu’elle soit dans un rôle d’instrument-voix, Ellinoa capte la lumière et agit comme un électron libre dans l’univers très ouvert de Thomas Julienne. Toutes les promesses du disque sont là, elles se sont même bonifiées. Une soirée très riche.

Initiative H © Franpi Barriaux

Le lendemain, c’est dans le beau théâtre du Bois de l’Aune, construit à l’apogée de la période des MJC dans le quartier populaire du Jas de Bouffan que se termine ce temps fort de Grands Formats. La formation toulousaine de David Haudrechy est chargé de cette soirée, avec toute la force de frappe de ses vents. Avec Polar Star, leur nouvel album, les douze pupitres d’Initiative H évoquent les explorateurs des pôles et c’est vrai que ça tangue fort, notamment sous les coups de boutoir de Simon Portefaix. Le batteur est au centre des débats : il est le régulateur du jeu frontal réclamé par Haudrechy, s’appuyant notamment sur les deux trombonistes, Lionel Ségui et Olivier Sabatier. Dans une esthétique volontiers jazz-rock, avec notamment la doublette inflammable de Philippe Burneau à la basse et Florent Hortal à la guitare, l’orchestre cogne, avec de belles individualités comme la trompettiste et chanteuse Cécile Vidal ou encore le clarinettiste Gaël Pautric, tous deux très en verve ce soir-là, tout comme le saxophoniste de Pulcinella, Ferdinand Doumerc. Dans une atmosphère assez lyrique et cinématographique (on décèle des hommages aux premiers films documentaires des pôles, Nanouk l’Esquimau pourrait surgir), Initiative H a ravi un public assez nombreux. Le courage de programmer des grands orchestres est toujours récompensé