Chronique

Frank Lozano Group

Colour Fields

Frank Lozano (ts), Jim Lewis (tp, bugle), Kim Ratcliffe (elg, mandolin), John Geggie (cb), Jean Martin (dr)

Label / Distribution : Effendi Records / Abeille

Né à Ottawa en 1960, Frank Lozano étudie le saxophone avec Pat LaBarbera à Toronto puis avec Jerry Bergonzi à Boston. Il s’installe à Montréal dans les années 90 et devient l’un des saxophonistes ténors les plus demandés de la scène locale. Ex-sideman de Tito Puente et d’Oliver Jones, avec qui il parcourt les plus grands festivals, puis de grandes formations comme le Montreal Jazz Big Band, Avalon Motel et FACT, il évolue aujourd’hui auprès de David Binney dans le groupe Thom Gossage « Other Voices », de Donny McCaslin (avec qui il enregistre un CD du Altsys Jazz Orchestra) et en club à New York avec l’Effendi Jazzlab de Ted Nash dans le groupe « Auguste » d’Alain Bédard (en tournée à Paris en octobre dernier).

Colour Fields est le premier disque de Frank Lozano et, d’emblée, un album exigeant pour l’auditeur. Lozano a composé huit pièces très écrites, au style contemporain et à l’arrière-goût post-moderne. Tout au long de l’album, il utilise un langage musical complexe, raffiné et très maîtrisé, en particulier dans la composition et les arrangements, conçus à partir d’éléments empruntés au jazz – Lozano est d’ailleurs un bon représentant du jazz mainstream new-yorkais (« L.R.P. ») - et à d’autres courants comme le funk (« New Man »), la musique industrielle (« Rothko », dont la rythmique chaotique et intrigante structure le ronronnement industriel enflammé de la guitare électrique de Kim Ratcliffe). A travers ces dix morceaux, il mêle des influences ibériques (« Buciumeana » de Bartok), les sonorités boisées et chaudes (« Fleurette africaine » d’Ellington) et les atmosphères bruitistes (« Kandinsky »).

Lozano coordonne les interventions des musiciens de manière novatrice sans être franchement avant-gardiste : mesures composées et parties improvisées s’imbriquent, se superposent (« Now Won ») et se côtoient, comme enchaînées. Sur « Village », l’unisson saxophone / bugle ou trompette qui se nourrit des mesures impaires donne sa forme à une grande partie de la pièce et met en exergue ses éclats. Cela confère une liberté à la batterie, souvent pénétrante, alors que la contrebasse bat le « rythme harmonique » de la pièce. La guitare garde pour elle les envolées mélodieuses et enjolive les propos improvisés de la trompette. Face à cette alternance de passages écrits et improvisés proches de l’harmonie, l’auditeur se laisse guider par une force mélodique impalpable sans parvenir à discerner l’écriture de l’improvisation. Ces « symptômes » se répètent sur « Buciumeana », la mandoline de Ratcliffe se joignant à l’unisson harmonique de Lozano/Jim Lewis. Ce mode de fonctionnement, s’il n’est pas propre à Lozano, lui sied parfaitement. Signalons le travail du batteur Jean Martin dont la richesse apporte une liberté supplémentaire à la musique, par ses montées puissantes et embrasées ou ses rythmiques chaotiques-hésitantes au délicieux tangage.

Styles, sonorités et rythmes hétérogènes, atmosphères mystérieuses… Pourtant l’œuvre reste homogène. Tragique et rêveuse, d’une gravité majestueuse parfois emphatique. Contemplative et solennelle, fondée par l’esprit d’un artiste rigoureux. Cet album est sans doute l’aboutissement d’une long processus de maturation. Une grande jouissance pour les tympans curieux et aventureux.