Chronique

ONJ Tortiller

« Close to Heaven »

Franck Tortiller (vib, arr, dir) / Vincent Limouzin (vib, marimba, électronique) / Patrice Héral (dr, perc, voix) / David Pouradier Duteil (dr) / Yves Torchinsky (cb) / Jean Gobinet (tp, bugle) / Eric Séva (ts, ss) / Michel Marre (tuba, bugle) / Jean-Louis Pommier (tb) / Invité : Xavier Garcia (cl, samples)

« Close to Heaven » : on y est presque !

Il faut dire que toutes les conditions sont réunies. L’ONJ de Franck Tortiller s’est attaqué à l’œuvre de Led Zeppelin de manière courageuse et inventive. Les dix musiciens de l’orchestre proposent quatorze titres, dont certains aussi courts que dans la version rock, tout en conservant une alternance morceaux brefs et longs.

QUELLE MISSION S’EST DONNEE FRANCK TORTILLER ?

Le groupe est reconnu pour ses lives démentiels où les membres du groupe se révèlent être des improvisateurs surprenants. Or, le jazz colle à ce contexte. Mais il était essentiel de faire renaître l’ambiance « wild » de sa musique.

En effet, Led Zeppelin doit également sa renommée aux mélodies rock/hard rock bien trempées, aux cris ravageurs de Robert Plant et à la guitare saturée de Jimmy Page. La voix aiguë de Plant est ici assurée par Patrice Héral qui, outre les percussions, prête « voix » forte à l’ensemble en scandant cris et onomatopées.

A noter : point de guitariste dans l’ONJ de Tortiller. Il est vrai que cela aurait pu mettre en péril l’œuvre entière, quelles que soient ses qualités artistiques : il aurait alors dû soutenir la comparaison avec l’unique Jimmy Page. Aussi, pour « simuler » la guitare et son ambiance stridente, agressive, Xavier Garcia, l’invité, a ajouté un soupçon d’électronique et de samples. On aurait pu le regretter. Au contraire, en retrait des autres instruments, ces nappes de sons électro dynamisent la musique et contribuent à alimenter sa folie et celle des musiciens. Elles offrent à l’auditeur autant d’éléments de suggestion pour écouter à sa guise cette musique à multiples facettes. L’esprit rock n’en est que plus présent, mais avec malgré tout un arrière-goût de dénaturé.

L’OEUVRE

Hormis ces rajouts modernistes qui orientent le caractère de la musique, Tortiller et ses comparses ont réalisé là une œuvre remarquable. Loin de la copie, mais bien plutôt inspirés, ils ont restitué des morceaux très ouverts et qui offrent d’autres perspectives de développement (en concert, par exemple). Une des caractéristiques de cette œuvre est l’alternance entre folie festive et béatitude, ponctuée par des transitions parfaitement réussies. Ajoutées à la grande homogénéité de l’ensemble, elles suggèrent même la forme « suite ».

Festif ? Assurément ! L’orchestration est moderne, magistrale et pleine d’humour (« Black Dog »/« Dazed and Confused »). L’utilisation de deux vibraphones (Tortiller + Vincent Limouzin), combinés aux cuivres lorsqu’ils jouent les thèmes à l’unisson, rappellent les moments magiques du sieur Zappa… à l’époque de « Roxy & Elsewhere »/« Overnite Sensation »/« Apostrophe » avec la grande Ruth Underwood aux vibraphone/xylophone et percussions. D’ailleurs, l’effet est immédiat : les vibraphones déclenchent le feu et accentuent le côté déjanté ; les cuivres, très soudés et arrangés, l’alimentent ou appellent au repos.

LES MUSICIENS

Eric Seva et Jean Gobinet sont les deux soufflants qui en imposent. Posé et délicat sur « The Rain Song », Jean Gobinet sonne comme l’élément moteur sur « Four Sticks » où son chorus surpasse le côté binaire de la pièce et lui donne un souffle alternatif, au sens propre du terme, face aux nappes sonores électro. Sur « Black Mountain Side », Eric Seva, au soprano, livre un chorus chargé en émotion sur un discours mélodieux et velouté. Son soprano sonne comme une petite sœur, douce et calme, dans une famille de garçons tous un peu allumés. Sur « Stairway to Heaven », le ténor s’éveille à la mélodie bien connue pour, au fur et à mesure, grandir et hisser avec lui tout l’orchestre dans une somptueuse montée en puissance comme seuls savent le faire les grands groupes de rock.

En définitive, on se convainc sans peine que Close To Heaven a bien sa place dans l’héritage zappaien, par l’orchestration et l’utilisation de certaines techniques d’arrangement. Ce fait est renforcé par une rythmique binaire à souhait - trop pour un orchestre de jazz. La batterie dispose d’un espace sonore plus important que sur la moyenne des disques de jazz. Elle est mise en avant - comme dans les groupes rock, une fois de plus.

Bref, Tortiller propose là un univers riche : il a transposé les moments « trash » de Led Zeppelin en moments de folie festive et donne un relief nouveau aux mélodies grâce à une orchestration joyeuse. En somme, cet ONJ, ne lui déplaise, est un vrai groupe de rock - au sens positif du terme.

Après des projets décevants, voire ratés, on pourrait dire que ce dernier opus de l’ONJ est salvateur pour l’institution, qui redore ici son blason. Espérons que cela marquera un nouveau départ…