Chronique

David Prez et Romain Pilon Group

II

David Prez (ts), Romain Pilon (g), Yoni Zelnik (cb), Karl Jannuska (dr)

Label / Distribution : A.P.O. Records

Dans le climat ambiant du jazz, si on n’est pas déjà un(e) musicien(-ne) ou chanteur(se) déjà connu(e), on n’existe pas. Et quand on est célèbre, on veut le rester. Pour cela on est contraint au formatage, à quelques rares exceptions près. Certains musiciens, encore méconnus, brûlent les étapes : ils choisissent - ou sont forcés de choisir - le formatage. Enfin, il y a ceux qui, méconnus et créatifs, parviennent à exister… à leur manière. En montant des projets, en développant un réseau d’artistes, ils finissent par se regrouper - l’union fait la force - pour partager et créer. Et à force de jouer ensemble, certains finissent par développer leurs idées et créer leur son. C’est le cas aujourd’hui du David Prez et Romain Pilon Group qui signe son II-ième album sur son propre label, après un premier CD chez Fresh Sound en 2007. Avec ce projet, ce groupe à la popularité encore underground est peut être en passe d’émerger. En tout cas, on le lui souhaite.

David Prez et Romain Pilon, respectivement sax ténor et guitariste, se sont à nouveau associés à l’indéboulonnable paire Yoni Zelnik/Karl Jannuska qui, grâce à sa solidité titanesque, est devenue la meilleure rythmique du mainstream moderne parisien. Tous quatre se côtoient dans d’autres formations et lors de sessions de travail. Ils se connaissent et se comprennent particulièrement bien. C’est l’un des atouts majeurs de ce groupe et c’est ce qui ressort à l’écoute de leur musique.

En « deux albums et demi » (on inclut ici e.p., un cinq-titres paru cette année sur les plateformes de téléchargement) les co-leaders ont développé un son de groupe influencé par le mainstream new-yorkais (Kurt Rosenwinkel, David Binney, Chris Cheek, Mark Turner…) tout en conservant une originalité en dehors des clichés. Sideman des guitaristes Tam de Villiers sur l’excellent Alba Lux et Sandro Zerafa sur le révélateur White Russian, Prez possède un discours harmonique et un jeu à la fois posé et tranchant susceptibles de soutenir idéalement celui des guitaristes. Fort cette expérience, il devient la pulsion motrice du groupe. Mais le son d’ensemble tient beaucoup à son association unique avec l’anti « guitar hero » Romain Pilon. Discret, en apparence timide mais très efficace, celui-ci jaillit, tout en éclats de douceur, dans ses accompagnements et chorus inspirés. On finit par croire qu’il est à l’origine de la petite flamme qui donne le goût si particulier à ce quartet.

La paire Prez/Pilon se caractérise par une relation amicale et une excellente compréhension de l’autre, avec la délicatesse et la maîtrise pour points communs. Ces deux-là s’affranchissent du jeu « technique » ou à l’énergie. Au contraire, ils recherchent la simplicité. Ils ne veulent pas vous en mettre plein la vue, mais plein les oreilles ! Les compositions sont volontairement simples. Certaines frôlent l’easy listening, mais sont écrites ainsi à dessein et exécutées avec talent, le but étant d’agir efficacement sur l’auditeur et de le toucher à vif. A la new-yorkaise, straight… sans fioriture. On pense à l’envoûtant « Birds & Rabbits », presque un tube de rock, ou « Holidays », dont la mélodie vous agrippe littéralement. Sur cette pièce, Prez et Pilon prennent un « chorus-accompagnement » à deux particulièrement inspiré et fleuri donnant un aperçu de la profondeur artistique qui les unit. Les deux discours se mélangent et se répondent avec retenue. Un véritable délice. On ne saurait négliger la fougue et la passion de l’ébouriffant « Garage Tune », la dignité de « One for Paul », la tendresse de « Man of Few Words », la jeunesse aussi… et les nombreuses influences pop et rock (de Nick Drake à Radio Head) qui planent ici telles des ombres.

De l’amitié, des projets communs, un son, une identité créatrice propre : ce « group » a la dimension d’un groupe rock de la grande époque. Ne manque plus que le public.