Portrait

Gabi Hartmann ne manque pas de sel

Portrait de la chanteuse en creux de son dernier album.


Deux ans après un premier album salué pour sa richesse musicale et son lyrisme délicat, Gabi Hartmann revient avec un nouveau projet profondément poétique et audacieux : La Femme aux yeux de sel.
La chanteuse parisienne trace les contours d’un univers intime, traversé par les sons du monde, les récits symboliques et les voix féminines qui l’ont inspirée.

Gabi Hartmann © Gérard Boisnel

Au cœur de ce deuxième album, une figure fictive : Salinda, femme née d’une île imaginaire, dont les larmes salées la poussent à partir à la recherche de ses origines. Une fable moderne, structurée en chapitres, qui déploie un voyage intérieur autant qu’un périple à travers les styles et les continents. C’est en observant sa nièce de quatre ans, absorbée dans ses livres illustrés, que Gabi Hartmann a ressenti l’envie de construire un récit presque enfantin dans sa forme – avec un début, un milieu et une fin – mais chargé de symboles profonds.
L’album se distingue par sa diversité musicale, fruit de plusieurs années de travail et de nombreuses rencontres. Gabi revendique une approche sans frontières : elle refuse de se limiter, préfère explorer, se réinventer au fil des collaborations. Aux côtés du saxophoniste Laurent Bardainne, du groupe indie parisien The Oracle Sisters, de la flûtiste Naïssam Jalal ou encore de l’auteur-compositeur Jesse Harris – connu pour avoir écrit « Don’t Know Why » pour Norah Jones, elle compose une œuvre ouverte, mouvante, sincère.
Chaque chanson possède sa propre identité, mais toutes s’articulent autour de la trajectoire initiatique de Salinda, comme les pages d’un même conte sonore.

Elle a choisi de féminiser son environnement professionnel

Cette liberté, Gabi Hartmann la cultive depuis ses débuts. Parmi les figures fondatrices de son imaginaire artistique, trois femmes : Julie London, Miriam Makeba et Mercedes Sosa. Trois voix puissantes, engagées, à la fois douces et farouches, qui l’ont nourrie bien au-delà de la musique, des modèles de liberté, de féminité et d’intensité dans un milieu souvent très masculin.
Cette volonté de rééquilibrer les choses, Gabi l’a incarnée concrètement dans la réalisation de l’album. Elle a choisi de féminiser son environnement professionnel : travailler avec des musiciennes, une régisseuse, des collaboratrices dans la production et les arrangements, comme un acte symbolique mais surtout sincère, presque naturel. Dans un monde musical encore dominé par les hommes, elle affirme un autre modèle : inclusif, sensible et libre.

Musicalement, La Femme aux yeux de sel navigue entre jazz, pop, folk et musiques du monde, sans jamais se fixer de frontières. Le titre “Take a Swing at the Moon”, par exemple, plonge dans un jazz vocal à l’ancienne, à la manière de Billie Holiday ou Julie London. On y découvre une voix plus grave, plus profonde, qui traduit un moment de désillusion dans le parcours de Salinda. Une voix mûrie par des années de formation vocale éclectique, allant du jazz à l’opéra.

entre les genres, entre les mondes, toujours en mouvement

Parmi les collaborations marquantes, celle avec Naïssam Jalal sur “Le Lever du soleil” révèle une autre dimension du projet : spirituelle, engagée, organique. Une rencontre née d’un coup de cœur artistique, renforcée par des affinités humaines. Gabi avait à cœur de faire entendre une voix féminine forte, singulière – et c’est naturellement que la flûtiste s’est imposée.
Côté esthétique, l’album s’offre une pochette sobre et poétique, signée par une photographe et une directrice artistique de l’agence Joannet, déjà à l’origine des visuels du groupe The Oracle Sisters, avec qui Gabi partage également un duo. Ce visuel reflète son positionnement artistique : entre les genres, entre les mondes, toujours en mouvement.

Enfin, si elle devait ne retenir qu’un morceau, ce serait sans doute “Tout mon secret”. Une chanson en français, plus pop, qu’elle a longuement façonnée, tant dans l’écriture que dans l’orchestration. Une pièce charnière dans cet album-carte, où chaque titre est une destination, chaque arrangement une atmosphère.
Avec La Femme aux yeux de sel, Gabi Hartmann livre une œuvre d’une grande maturité, qui conjugue avec élégance imaginaire, exploration musicale et affirmation personnelle. Un disque comme une traversée, à la fois douce, profonde et libre.