Chronique

Gianni Gebbia, Mauro Gargano & Dario De Filippo

Le Zouave Jacob

Gianni Gebbia (as, electronics), Mauro Gargano (b, electronics), Dario De Filippo (perc)

Label / Distribution : Objet-a

Quel était donc le secret du Zouave Jacob ? Ancien soldat sous le Second Empire, guérisseur auto-proclamé, il avait à son actif des méthodes discutées mais aussi d’indiscutables résultats. Cette star de la médecine parallèle que les étrangers n’hésitaient pas à venir consulter à Paris avait, entre autres pratiques singulières, l’habitude de terminer ses consultations en jouant à ses patients des improvisations au trombone. L’idée, ici, est donc peut-être, au-delà de l’évocation du personnage - prétexte intéressant pour développer un répertoire aux directions plurielles - de se concentrer sur les indéniables vertus thérapeutiques de la musique. Et si Gianni Gebbia, Mauro Gargano et Dario De Filippo ont objectivement peu de chances de soigner lumbago et arthrite, ils dispensent par la beauté de leur musique une efficace cure de (re)mise en éveil des oreilles et de l’esprit.

Au long de cet album se succèdent des morceaux aux atmosphères différentes qui ont toutefois en commun une dimension spirituelle tenant aussi bien au jeu acoustique des musiciens qu’à l’usage d’effets électroniques. Ces titres sont tous basés sur des faits marquants de la vie d’Auguste Henri Jacob, et la musique peut tour à tour être inspirée par un lieu, une pratique ou un personnage. L’album démarre ainsi au « 80 rue de la Roquette », où le Zouave avait son atelier. Cet antre mystique est ici évoqué par le biais d’une composition aérienne où les rythmes insaisissables et les filigranes du saxophone sont comme absorbés par les longues notes à l’archet de Mauro Gargano, doublées par un violon imaginaire. A ce mirage musical, qui invite d’emblée l’auditeur à une écoute décloisonnée, succède un « Azul Zouave » au discours tripartite beaucoup plus épuré, organique, et basé sur la complémentarité entre membres du trio.

La musique est nourrie de cette double approche, basée à la fois sur l’interaction et sur la mise en place de climats à l’aide d’effets, de samples et d’instruments virtuels. On peut y voir un écho d’une autre dualité, celle qui régissait les procédés du guérisseur, basés sur des notions spirituelles mais réinventés « au feeling » pour chaque patient. Henry Jacob improvisait, et pas seulement à partir d’airs d’opéra au trombone.

Point de trombone pourtant dans ce trio de musiciens italiens/siciliens, et français d’adoption pour Gargano. De ce portrait en 46 minutes de musique frémissante, on retient la souplesse du jeu collectif et l’utilisation intelligente des apports électroniques, que ce soit pour napper le silence ou perturber le jeu, donc le stimuler. Mais c’est avant tout par sa simplicité, son esthétique épurée que ce disque est remarquable. À chaque instant on se laisse absorber par un motif de contrebasse entêtant (« Retour de guerre »), une phrase circulaire au saxophone, jouée ad libitum par l’excellent Gianni Gebbia (« Cordelia »), ou les rythmiques minimalistes (parfois un simple mouvement cyclique des balais sur une peau, une tournerie presque tribale ou un ballet de tintements) de Dario De Filippo. Entre ces gestes et ces climats, l’improvisation trouve ses espaces, reste présente sans prendre le dessus. D’où une magie certaine, excellente restitution de ce drôle de Zouave à l’apostolat controversé. Comme lui, ce beau trio semble nous examiner, comprendre nos maux et nous jouer une mélodie qui, si les notes étaient des mots, signifierait « Tu es guéri ! ».

par Olivier Acosta // Publié le 21 avril 2014
P.-S. :

Album téléchargeable sur le site d’Objet-a, le label de Gianni Gebbia.