Chronique

Grands Formats

21 orchestres d’aujourd’hui

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Plus qu’une anthologie des grands orchestres de jazz en ce début de troisième millénaire, cette compilation de l’association Grands Formats veut être un manifeste de la musique vivante, un état des lieux de la création actuelle, sans désir de figer une situation. C’est aussi un événement discographique qui permettra à un plus large public (souhaitons-le du moins) de faire connaissance avec le jazz en grande forme. (À Paris, on pourra lui rendre visite au Trabendo les 14, 15, 16 et 17 septembre pour le festival du même nom.)

Car « Grands formats », association créée en 2003, travaille à faire connaître de grandes formations spécialisées dans le jazz et les musiques affines. Réunir un grand orchestre est un pari courageux… mais économiquement peu viable : une gestion très lourde entraîne une programmation minimale dans un marché « libéral » préférant les reprises, même réussies, à la production de musiques plus aventureuses.

Dans la nébuleuse des musiques actuelles, cette configuration permet de repérer le jazz, de l’identifier sûrement et de faire un travail sur la forme. Le jazz en grand format n’est pas hors jeu, relégué dans les marges : ses représentants résistent et même se multiplient à Paris et… en province. Le public est là, prêt à s’enthousiasmer, encore faut-il qu’il soit informé. Car cette expression musicale a une histoire presque centenaire et nous promet de la musique pour au moins cent ans encore…

Bel objet rectangulaire, ce livre-disque est composé de deux CD et d’un abondant livret de 60 pages qui resitue le travail des différents ensembles dans l’histoire des « big bands » (apparus lors de l’époque swing ).

Gérard Arnaud (dont on n’a pas oublié les superbes portraits de musiciens de jazz sur Arte) présente sur une double page (français-anglais) le chef, la formation, l’orientation de l’orchestre et décrit avec finesse chaque extrait choisi. Ces authentiques notes de lecture proposent un accompagnement idéal au néophyte ou à l’amateur qui désire approfondir ses connaissances sur l’esprit de ces formations.

Ce dernier se fera son propre hit-parade, passant de l’historique Claude Bolling à l’inclassable Martial Solal, du revivalisme pertinent d’un Dominique Mandin (Vintage orchestra) ou d’un Michel Pastre (Michel Pastre Big Band), à l’avant-gardisme plus impertinent du Grand Rateau ou du Gros Cube).

Les métissages ne sont pas délaissés avec les cuivres de l’ethnique Surnatural Orchestra (« La sauce à Rachid ») ou de l’exotique Paris Jazz Big Band qui, en dépit de son nom de scène, s’aventure sur les rivages méditerranéens, célèbrant le flamenco et la danse (« Buleria »).

D’autres « cross over » sont à l’honneur avec le cartoonesque Sacre du Tympan de Fred Pallem (« Motorpsycho blues ») ou le déraisonnable Bernard Struber Jazztet qui fait le grand écart entre rock et musique contemporaine (la petite suite des « Parenthèses du silence » de Jean-Marc Foltz), sans oublier l’ONJ et son formidable « Tribute to Led Zeppelin » où « Four sticks » met en valeur les deux batteurs de cette formation de choc. A moins que les fans de la composition instantanée ne plébiscitent le Pandémonium du prolifique François Jeanneau, devenu un adepte convaincu du Sound Painting.

On aimerait citer les 21 groupes sélectionnés, tant ils nous plaisent dans leur diversité réjouissante (la belle machine de Patrice Caratini, les recherches tous azimuts de Laurent Dehors…) et créent un paysage collectif créatif, parfois délirant, toujours passionnant, quintessence du jazz en grande forme.

Cette association devrait continuer à grandir, à intégrer d’autres ensembles, d’autres esthétiques, à fournir d’autres compilations. Car le jazz est une vraie famille : les affinités électives, le jeu même de l’échange poussent certains musiciens à multiplier leurs apparitions, tenant moins le rôle de soliste que celui de passeur entre divers orchestres qui se les partagent volontiers. Même si les égos ne sont pas égaux, les musiciens obéissent alors à une seule voix et nous aident à percevoir, de l’intérieur, ce qui pouvait animer un big band au temps du Duke, du Count, de Gil Evans….ou même des débuts de Solal ou Bolling.

La grande époque est certes révolue, et nous ne pouvons prédire comment sonnera un disque de Grand format. Mais il importe que vivent tous ces grands ensembles, laboratoires d’une musique vivante, et qu’ils disposent de moyens suffisants pour poursuivre leur action.