Chronique

Jason Moran

Same Mother

Jason Moran (p), Marvin Sewell (acg & elg), Tarus Mateen (acb & elb), Nasheet Waits (dm)

Label / Distribution : Blue Note

En fait, Jason Moran propose un album orienté blues à travers les pièces « I’ll Play The Blues for You » et « Jump Up » tout en conservant les inspirations éclectiques qui font parties de son cachet un peu avant-garde : jazz post-bop (« Fire Waltz »), classique-contemporain (« Field of the Dead »), funky (« Gangsterism On the Rise »). En revanche, exit les plages électro de Bandwagon en concert, par exemple.

Pourtant, l’homme et le pianiste n’ont pas changé : on retrouve les influences monkiennes et les envolées à la Don Pullen, en plus ténues et contenues, mais aussi le musicien inspiré, émouvant et excitant.

Ce n’est pas par hasard si Moran a fait appel au guitariste Marvin Sewell.
Celui-ci joue le blues, avec effets, bottleneck, talent et force, et son jeu s’accorde parfaitement à l’atmosphère souhaitée : ça suinte, ça transpire le blues moderne. Cette teinte persiste dans tout l’album à travers les intonations blues, même si les autres morceaux sont à l’origine éloignés de ce style : on pense à la ballade « Aubade » - cosignée par Jason Moran et Andrew Hill son mentor - ou « Field of the Dead », tiré d’Alexander Nevsky (Prokofiev), ou enfin, plus jazz, « Fire Waltz » de Mal Waldron - autre influence marquante à laquelle Moran rend brillamment hommage.

Peut-être de par la présence du guitariste, Tarus Mateen est moins verbeux que d’habitude à la basse, mais rythmiquement assez présent. Quant à Nasheet Waits, il est toujours aussi remarquable : dynamique et innovant, avec un drive fabuleux.

Concernant le leader, le piano est plus abrupt, plus « wild » que d’ordinaire, mais si la main gauche rudoie les riffs blues, la main droite est comme un ruisseau : un « blavet » nerveux et délicat, à la fois doux et puissant. Parfois, on croit entendre le son d’une flûte blues dans le registre aigu du piano.

Face à une telle diversité de styles et de facettes, il est difficile de définir techniquement le contenu de l’album. On pourrait presque dire que chaque morceau est unique et ne ressemble à aucun autre : il n’y a pas d’homogénéité entre les pièces. Et ce n’est pas gênant pour l’auditeur, car le message global de l’œuvre est homogène. En fait, ce disque n’a pas de couleur générale permettant de définir son état d’esprit ou de le classer dans un style ; il a une teinte : le blues.

Si le résultat est d’excellente facture, il faut surtout noter que cet opus bluesy sort du contexte artistique habituel du pianiste, et qu’il mérite le détour. Aussi on s’interroge sur sa raison d’être : « Same Mother » peut signifier que le blues est la mère de bien des musiques occidentales actuelles, dont certains styles sont proposés ici. Ou alors, on peut imaginer un retour aux sources, une manière de remonter aux racines… hypothèse d’autant plus probable que ce CD est dédié à la maman du petit Jason. Bel hommage !