Chronique

François Bourassa quartet

Rasstones

André Leroux (ts, as, fl), François Bourassa (p, perc.), Guy Boisvert (b, elb), Greg Ritchie (d, perc), Philippe Melansson (d, perc), Aboulaye Kone (perc)

Label / Distribution : Effendi Records / Abeille

Depuis une bonne décennie, le jazz international profite du décloisonnement ambiant des genres, dont certains jadis considérés comme moins nobles par le milieu. Après des tentatives plus ou moins douloureuses, il a finalement su ouvrir la boîte de Pandore. Peu à peu, des musiciens décomplexés et aventureux ont utilisé, trituré, manipulé rythmes et harmonies, chants et transes, atmosphères et couleurs venus d’ailleurs. A force d’affinage et de projets brillamment réussis, il semble que cela soit même devenu un exercice de style à part entière où les meilleurs s’expriment avantageusement.

A l’instar de nombreux musiciens d’outre-Atlantique (D. McCaslin, Ben Monder…) et d’Europe (E.S.T.), François Bourassa répond à merveille à ce cahier des charges ambitieux. Pour ce septième album, paru sur le label Effendi, le pianiste québécois mélange les genres et les rythmes au sein de compositions très personnelles. Le résultat est une œuvre homogène. Peut-être même un modèle du genre tant on navigue avec aisance de la comptine (« 111 Wooster St. ») à la fine mélodie en passant par le hard-bop postmoderne (« Moitié de truite », où il entremêle les chemins de Monk et Oscar Peterson) jusqu’à la chanson pop de « Rasstones » qui alterne sans sourciller entre binaire et rythmiques complexes !

En fait, cet album n’est pas du tout le fruit du hasard. Le pianiste n’en est pas à son coup d’essai. Bardé de récompenses, il obtient le Prix Félix pour l’« album Jazz de l’année » en 2004 (Indefinite Time) et 1986 (Reflet 1), le Prix Opus et le prix Juno du « meilleur album jazz contemporain » en 2002 pour l’album LIVE et le prix Oscar Peterson en 2007. Musicien complet, il est titulaire d’une maîtrise en Composition obtenue à l’Université McGill et un d’un Master en Jazz (New England Conservatory de Boston) qui font de lui un orfèvre de la composition. La réussite de Rasstones, c’est justement son architecture minutieuse, qui s’articule autour d’une bonne respiration et d’improvisations calibrées et énergiques, à quoi s’ajoutent la maîtrise de l’inertie du groupe et le sens de la « transe » mélodique.

Notons également l’osmose qui règne entre les membres du quartet. Leur motricité remarquable, très sûre, est conduite par la rythmique de Guy Boisvert (cb) et Greg Ritchie (d), qui jouent depuis vingt-cinq ans avec Bourassa, ou par le jeune batteur Philippe Melanson dont on a pu apprécier le jeu dynamique au Duc des Lombards à Paris en octobre dernier dans ce même quartette. Enfin, un large espace d’expression est confié - à juste titre - à André Leroux, considéré comme le meilleur saxophoniste québécois. Celui-ci collabore avec Bourassa depuis 1996 ; logique, donc, qu’il comprenne aussi bien sa musique, dont il fait ressortir l’évidence mélodique sans gratuité ni ostentation.

François Bourassa est, quant à lui, lyrique ou romantique, exubérant ou retenu, jazz contemporain ou recyclé. Résolument moderne, riche de son expérience à New York, maître inspiré de son instrument, il livre ici une œuvre tout à fait personnelle. On a beau l’écouter en boucle, la musique reste éclatante, vibrante et foisonnante.