Chronique

Joachim Kühn

Melodic Ornette Coleman - Piano Works XIII

Joachim Kühn (p)

Label / Distribution : ACT

Parmi les rares pianistes à avoir travaillé avec Ornette Coleman (l’autre est Geri Allen), Joachim Kühn se produit seize fois sur scène à ses côtés de 1995 à 2000. Pour préparer ces rencontres dont témoigne le disque Colors : Live from Leipzig sorti chez Harmolodic/Verve en 1997, le saxophoniste compose à chaque fois une dizaine de pièces aussitôt arrangées et enregistrées dans son studio personnel (plus de 170 au total). Les captations ne sont jamais publiées et Kühn est, à ce jour, le seul à les conserver et à détenir les partitions.

En interprétant aujourd’hui onze de ces pièces jamais entendues (plus deux versions de “Lonely Woman” et un morceau de sa main), c’est donc à un véritable hommage qu’il nous invite, de même qu’à une relecture de l’art d’Ornette. L’intelligence musicale du compositeur, sa touchante naïveté, son balancement permanent entre mélancolie et enjouement sont ainsi exhaussés par la solitude du clavier. Mieux, débarrassées de la causticité du saxophone et d’un entourage orchestral, serties enfin par un toucher d’une infinie délicatesse, les interprétations saisissent les nombreuses nuances des intentions d’écriture et apportent un éclairage neuf au style colemanien.

Chaque pièce est un moment unique où pointe une émotion dont la simplicité n’est pas épuisée par des écoutes répétées. Les morceaux se situent hors du temps et jouent des contrastes comme un soleil profite de percées à travers un ciel nuageux. Ils évoquent un monde en soi dans lequel, sans tambour ni trompette, mais avec obstination, l’Américain s’affirme définitivement comme une personnalité unique, à la fois immédiate et complexe.

Pour le célébrer, le pianiste, avec une inventivité sans faille, épouse et étreint le moindre des méandres mélodiques. Il s’appuie sur les zones sensibles dont il tire la substance ; il en extrait plus de saveur encore en dessinant des arrière-plans teints de couleurs nuancées. Les trilles ruisselants qui sont sa marque personnelle sont bien sûr présents mais utilisés avec retenue, ils n’en prennent que plus de force. Sur la dernière plage, il retrouve son brio et dans un lâcher-prise en forme d’apothéose nous invite à retourner toujours à la musique de ces deux grands artistes - et espérer que les enregistrements inédits deviennent un jour accessibles.