Scènes

Oliva/Foltz : Hommage à Segundo de Chomon

Dans le cadre de la préouverture du Festival Premiers Plans à Angers, un ciné-concert présentait trois courts-métrages d’un des pionniers du cinéma, Segundo de Chomon (1871-1929).


Le 16 janvier 2014, dans le cadre de la préouverture du Festival Premiers Plans à Angers, dans la salle de l’Espace Culturel de l’Université, un ciné-concert présentait trois courts-métrages d’un des pionniers du cinéma, Segundo de Chomon (1871-1929). Suite à leur restauration récente, cette adaptation était une commande du Festival Strada del Cinema en collaboration avec le Musée National du Cinéma de Turin, et expressément confiée à Stephan Oliva (piano) et Jean-Marc Foltz (clarinettes). C’était sa deuxième projection en France.

Depuis Jazz’n (e)Motion (1998), Stephan Oliva est coutumier des rapprochements avec le Septième art. Fin 2013, il vient d’ailleurs de conclure avec Vaguement Godard une trilogie qui lui est consacrée (commencée avec Ghosts Of Bernard Hermann et poursuivie avec Film noir). Sa collaboration avec Jean-Marc Foltz, quant à elle, est déjà ancienne. Ils ont travaillé sur d’autres ciné-concerts (The Lodger, d’Alfred Hitchcock par exemple) et leur discographie commune comprend maints enregistrements (Itinéraires Imaginaires, Miroirs, Pandore, Soffio di Scelsi, Visions fugitives, etc).

Tout concourait donc pour placer cette soirée sous les meilleurs auspices. Aujourd’hui moins connu du grand public que George Méliès, Segundo de Chomon compte parmi les personnalités qui ont apporté à la fois un savoir faire inventif en matière de trucages et d’effets spéciaux et une poésie que seuls les défricheurs peuvent faire jaillir d’un art en train de naître (on pense, pour le jazz, à Louis Armstrong).

La magie opère immédiatement. Le spectateur est plongé dans un bain de jouvence, découvrant avec émotions les prémices de ce qui deviendra l’art du XXe siècle. Le Spectre rouge (1907) est un premier émerveillement. Une succession de saynètes colorisées met en jeu différents procédés. Des femmes miniatures dansant dans des bouteilles, un visage humain s’animant dans un cadre, un diable prestidigitateur apparaissent tour à tour à l’écran. On s’enthousiasme devant un tel foisonnement d’images surréalistes et déroutantes tandis que se pose, dans un même temps, la question de leur fabrication, artisanale et archaïque et déjà si expressive.

Dans les deux films d’animation suivants, le mystère s’épaissit encore. Sur une durée de 38mn, La Guerra ed il Sogno di Momi (1917) raconte une histoire double. Un enfant, une femme et un vieillard reçoivent une lettre d’un homme parti au front. D’abord filmée, la première partie retrace les exploits de ce soldat durant un assaut. Durant la deuxième, l’enfant, gardant en mémoire l’effroi ressenti à la lecture de cette lettre, s’endort - et son rêve devient cauchemar. Ses poupées entrent en mouvement, se dressent l’une contre l’autre, pour finir par se déchirer violemment dans un spectacle de plus en plus monumental : troupes en marche, explosions, plans aériens… tous les éléments à venir du grand cinéma d’action.

Les deux musiciens, tournés vers l’écran, chacun en bord de scène, interprètent une bande-son largement improvisée, quoique très construite et respectant les différentes péripéties du scénario. Sans présence excessive, ni empiétement, ils se mettent au service de ce qui est vu. Stephan Oliva utilise toute la palette des harmonies qui lui sont chères (on reconnaît un extrait de « Cécile seule », sa pièce-signature). Clair-obscur, impressionnisme… elles seront, selon la nécessité du moment, doublées d’une rythmique imposante. Jean-Marc Foltz, de son côté, pratique la clarinette avec plus de parcimonie. Il est parfois bruiteur (le vent, le feu), usant de souffles, de crachotements mais sans se limiter à une plate illustration. Avec lui le vent devient inquiétant, le feu dangereux.

Au fil des courts-métrages, le dialogue se fait plus volubile. Dans Lulu (1923), où l’on voit un singe magicien aux prises avec un voleur, une course-poursuite drôle et enlevée s’engage entre les instrumentistes. Les timbres ronds et les couleurs chaudes sont les compléments parfaits de ces séquences sans paroles.

A la suite des projections – et ce n’est pas le moment le moins intéressant —, Oliva et Foltz restent discuter avec le public. « Le film est notre partition, dit Oliva ; il s’agit de l’interpréter. Les musiciens recherchent constamment le point d’équilibre, la bonne distance et le bon angle. Sans ajouter à ce qui fait déjà sens, nous devons révéler, exhausser, pour provoquer une plus-value de sensations et d’émotions ». La discorde entre les marionnettes du film La Guerra ed Il Sogno di Momi qui, dans les années 1910, prêtait peut-être à sourire, prend ici des allures de parabole tragi-comique. La musique, martiale et pathétique, est un écho parfait du drame que fut le premier conflit mondial.

« Jouer en temps réel, ajoute Foltz, rend plus dynamiques des images sans doute trop arides car muettes, ou dont les compositions originales étaient de piètre qualité. C’est aussi un moyen de redonner au cinéma toute sa dimension d’art du présent, comme il pouvait l’être à ses origines. La conjonction entre une expression artistique du début du siècle dernier et une production contemporaine improvisée permet, par la force de la seconde, de déconstruire et revitaliser la première, pour en faire surgir toute la modernité. »

Les quelque soixante personnes présentes ont pu, grâce à la simplicité des échanges, découvrir de l’intérieur une mécanique complexe, peu connue du grand public. Dans le prolongement de ces propos, et pour les illustrer, Stephan Oliva et Jean-Marc Foltz, ont donné une seconde lecture, totalement différente, plus abstraite et inquiétante, du premier film projeté. Elle clôture ce ciné-concert d’une rare intelligence, à la fois divertissement, découverte d’un passé oublié, et pur enchantement.


FOCUS #1 2014 from UCO WEB TV on Vimeo.


(Les musiciens apparaissent entre 11’24 et 13’45)