Scènes

Journal Intime et Jérémie Piazza : Playtime à Kuopio !

Le trio de cuivres, en tournée Vapaat äänet, passait par Kuopio, en Finlande.


Photo : Maarit Kytöharju

Ce premier concert de jazz auquel j’ai assisté à Kuopio m’a offert l’agréable opportunité de découvrir Maxim, salle de spectacle cossue mais aussi cosy. Une tournée Vapaat äänet de Charles Gil faisait étape en ville.

Journal Intime et Jérémie Piazza © Maarit Kytöharju

Il s’agissait, je pense, du troisième concert de Journal Intime que j’écoutais, mais je ne parviens absolument plus à compter le nombre de concerts organisés par Charles Gil qui m’ont permis de découvrir, au fil des ans, des groupes français plus enthousiasmants les uns que les autres. Cette fois-ci, le trio formé du trompettiste Sylvain Bardiau, du tromboniste Matthias Mahler et du saxophoniste basse Fred Gastard, invitait l’excellent batteur Jérémie Piazza que l’on a pu écouter précédemment en Finlande au sein de Papanosh au Tampere Jazz Happening et à Raahe - Jazz on the Beach.

Le communiqué de presse de tournée annonçait : « Journal Intime et Jérémie Piazza unissent leurs forces pour former un véritable big band de poche. Ils créent un répertoire qui puise son inspiration dans la tradition du jazz, du groove et des musiques populaires, en écho à l’univers poétique des films de Jacques Tati. Ils alternent séquences virtuoses, arrangements sophistiqués et improvisations déjantées. »

La notion de “jazz” a souvent été à prendre entre guillemets concernant les groupes que Gil a fait venir en Finlande. De fait, la richesse culturelle musicale française s’est manifestée par l’intégration dans le champ expressif du jazz des influences de toute la musique savante occidentale, y compris de ses formes les plus expérimentales ; et la folie créatrice cultivée par nombre de formations a provoqué tout aussi bien la stupéfaction que la jubilation des auditoires finlandais. Les voix et les sons se sont effectivement avérés des plus libres, ainsi que le laissait présager l’intitulé de l’agence crée par Gil [1]. L’humour a naturellement joué un rôle prépondérant dans ce bouillonnement créatif ; on a pu ainsi sortir des concerts avec un large sourire collé au visage, voire des crampes à l’estomac provoquées par l’hilarité.

les soufflants ont provoqué une réjouissante zizanie

L’humour en musique constitue un bienfait salutaire, et il s’avère encore plus délectable lorsqu’il est véhiculé par une maîtrise instrumentale virtuose. C’est un humour de cette teneur-là que nous ont prodigué à plusieurs reprises Journal Intime et Jérémie Piazza. Dans les passages les plus débridés, les soufflants ont provoqué une réjouissante zizanie par le simple recours illuminé à leurs embouchures et à leurs becs. Bardiau en particulier s’est révélé un remarquable « maestro de l’embouchure ». Sa technique lui permet de créer de sacrées ritournelles sans l’appui de pistons, et la dextérité de ses manipulations le rend expert en pédale wahwah et toutes sortes d’autres effets. On peut imaginer que Bardiau mettrait la faune volatile de la forêt vierge sens dessus-dessous : mais qui est donc ce nouveau compagnon parmi nous ?

Il nous a aussi été donné d’écouter en abondance un jazz à la saveur authentique et résolument exubérant. Le groupe groovait magistralement, en particulier dans des thèmes aux accents New Orleans où les riffs tranchants du saxophone basse mêlés à la rythmique implacable de la batterie se fondaient en une irrésistible pulsion. Aux commandes de son sax de compétition, Gastard s’est révélé un redoutable bassiste. Il est le seul musicien « électrifié » de la bande, utilisant à bon escient un amplificateur et un petit arsenal d’effets, restitués par une enceinte forçant le respect. Garder le groove n’est cependant pas son seul rôle : il participe avec bonheur aux textures de cuivres et ne boude pas les solos. Un musicien véritablement impressionnant, et des plus attachants dans ses présentations loufoques.

Les autres protagonistes s’avèrent tout aussi remarquables. Mahler fait, à sa guise, pleurer, rire et chanter son trombone. Bardiau réalise tout ce qu’il veut. Piazza s’inscrit à merveille dans le groupe, trouvant le moyen d’insuffler un surcroît de vitalité à un ensemble déjà sur-vitaminé. Son long solo fut un délicieux et rare morceau de bravoure, prenant de l’ampleur sans jamais perdre l’essentiel de sa tension remarquable, conservant à tout moment ce swing irrésistible qui tout du long, à la fois se régénère et se sublime.

Les thèmes des standards de jazz réinventés « à la Tati » trouvent leur inspiration dans certaines versions spécifiques ; comme par exemple celle de « Give Me The Simple Life » (Bloom-Ruby) par le trio d’Oscar Peterson. Avec une instrumentation comme celle-ci, rare même dans le monde du jazz, on ne peut qu’imaginer une transposition qui sonne de façon personnelle. Je doute que personne puisse réellement « imaginer » cela : la composition est devenue un nouvel objet musical en soi. Ce concert a été enthousiasmant de bout en bout. Il n’est pas exclu que je revienne à Kuopio écouter du jazz une nouvelle fois ! [2]

Pentti Ronkanen

par // Publié le 14 juin 2020
P.-S. :

Cet article de Pentti Ronkanen est paru dans le magazine Suomi Jazz et la traduction en français est signée Charles Gil en personne.

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Un studio est réservé en juillet pour enregistrer Journal Intime PLAYTIME.

[1« Vapaat äänet » signifie littéralement voix et sons libres, car « ääni » est à la fois la voix et le son.

[2L’auteur réside à Äänekoski, à 150 km de Kuopio.