L’Atelier du Plateau fait son cirque (2009)
Ce festival parisien a confronté musiciens et circassiens improvisateurs du 8 au 25 octobre 2009 devant un parterre ponctué de piaillements ravis : une fois n’est pas coutume, les enfants accompagnent les parents.
Trois semaines par an, rue du Plateau, dans un « ancien atelier de tuyauterie niché au fond d’une impasse du XIXè, à deux pas des Buttes Chaumont », ce ne sont pas les vénérables amateurs de jazz chevronnés, barbe grisonnante et oeil avisé, qui envahissent la salle, mais les piaillements de dizaines d’enfants accompagnés de leurs parents. Et pendant trois semaines, à l’Atelier du Plateau, la lumière reste allumée toute la soirée, pour que deux arts qui se connaissent (trop) peu aient le temps de se regarder, de s’explorer et de partager.
- Photo © Hélène Collon
Au début de l’automne, L’Atelier du Plateau offre un abri bienfaisant contre les premiers froids pour la huitième édition d’un festival qui ne désemplit pas. Huit circassiens et un trio de musiciens - formé pour l’occasion et différent chaque soir - sont invités à partager la piste. Le principe est simple : tous improvisent. Tous ? Tous. Avant de se rencontrer sur le Plateau, les acrobates, trapézistes, porteurs et autres équilibristes ne se connaissent pas plus qu’ils ne connaissent ceux qui vont les côtoyer. D’où une combinaison, une ambiance particulières ; une soirée, une performance…
Les artistes ont ainsi toute licence pour imprimer leur marque. Les mouvements mis en musique par Sylvain Kassap n’ont rien à voir avec ceux imaginés par Yves Robert ou Régis Huby, tout comme les clowns de la deuxième semaine tranchent avec ceux de la troisième. La première représentation a lieu un dimanche après-midi. Des dizaines de minois se bousculent pour mieux voir les prouesses des artistes : Sylvain Kassap (cl), Eric Groleau (b) et Thierry Balasse (électroniques) jouent avec Xavier Kim, Soleil Koster et Cyril Musy (danse, acrobaties), Valentin Bellot (tissu), Rocco LeFlem (mât chinois), Caroline Siméon (trapèze ballant) et Fred Escurat, (jonglage).
« Jouent avec » ? La formule peut surprendre : les musiciens sont en cour (à droite du plateau vu de la salle), contre le mur bleu marine au rayures élastiques blanches [1], tandis que les circassiens occupent le centre, autour du plateau peu accessoirisé (une table, une bougie, une bouteille de bière…), de l’escalier et du mât chinois.
Alors ? Alors, c’est pourtant ensemble que tous évoluent sur scène, à tel point qu’on peut légitimement parler de performance, au sens anglo-saxon d’« action éphémère » réalisée sans hiérarchie - et ce au sujet du festival dans son ensemble. Chacun des deux arts est attentif à l’autre, se nourrit de l’autre ; leur dialogue est au centre du spectacle, il est même la condition de sa réussite.
Ainsi le dimanche 11 octobre est-il malheureusement resté froid. Malgré la virtuosité des invités et les démonstrations impressionnantes des athlètes, qui ont soulevé moults « ah ! » et « oh ! » dans l’assistance, il n’y avait pas un, mais deux spectacles côte à côte. Du fait sans doute des ordinateurs et autres machines électroniques qui nécessitent une attention constante, le cloisonnement entre disciplines ne s’est pas vraiment dissous et l’ensemble manquait un peu de vie. Le bruitisme trop léger peinait à coller aux gestes des acrobates, lesquels semblaient par ricochet manquer d’appuis sonores. Circassiens et musiciens cheminaient rarement de concert…
- Photo © Hélène Collon
Les deux soirées suivantes ont été, en revanche, riches en explorations de toutes sortes. Les trios invités, Yves Robert au trombone, Bruno Chevillon à la contrebasse et Franck Vaillant à la batterie jeudi 15 [2], puis Claude Tchamitchian (contrebasse), Rémi Charmasson (guitare) et Régis Huby (violon) vendredi 23 [3], ont davantage pris part à l’action scénique. Tandis que les clowns (trois hommes de Cro-Magnon à l’autodérision revendiquée et, la semaine suivante, deux jeunes filles : Orty et Nancy GrandHôtel) s’occupent de faire le « lien » entre les numéros, de manière aussi loufoque que volontairement inappropriée - et, au passage, font la preuve que la musique n’a pas à remplir les blancs - les circassiens livrent de vraies petites mises en scène : ici deux amoureux qui se cherchent, là un buveur invétéré, ailleurs un athlète insubmersible…
Les musiciens amusés les suivent volontiers : Yves Robert gagne le centre du plateau avec son trombone imiter avec humour e bienveillance le souffle de Cédric Granger qui, avant de défier la gravité avec ses sangles, joue avec un chapeau melon en le faisant rouler sur son nez, son dos, son bras, comme si l’objet était animé d’une vie propre. Claude Tchamitchian va plus loin : contre toute attente, il prend la parole pour répondre aux gentilles provocations du duo de clowns, lequel en reste bouche bée ; cette situation inattendue provoque l’hilarité dans la salle. Le batteur Franck Vaillant, en accélérant le rythme, incite la trapéziste Jennifer François à faire de même, tous deux s’entraînent mutuellement sans qu’on sache qui devance l’autre. La jeune fille perd peu à peu sa robe en papier au fil de l’exercice (dévoilant un seyant justaucorps) et vient semble-t-il faire à chacun des trois l’offrande d’un morceau de vêtement. Alors qu’on reconnaît avec bonheur des thèmes issus de l’excellent Inspirine chez le trio réuni autour d’Yves Robert, celui au quel participe Régis Huby choisit l’improvisation totale. Le violoniste se fait d’ailleurs tancer par les clowns : il faudrait voir à ne pas confondre violon et guitare…
Ainsi, que ce soit dans une atmosphère poétique et très visuelle (Michèle D’Angelo et ses éventails rouges qui, lancés dans les airs, se transforment en papillons), ou pour un numéro à roulements de tambours et souffle coupé, les musiciens font plus qu’accompagner : ils participent de la performance via des interactions multiformes, créant un lien réussi entre deux mondes rarement réunis par l’improvisation.