Scènes

Le quartet Mafate au Duc des Lombards

Olivier Calmel conduit au piano un quartet plein de vie au service de ses compositions mélodiques et dansantes.


En 2005, Citizen Jazz récompensait d’un « ELU », le premier disque, Mafate, du quartet d’un jeune pianiste, leader et compositeur, Olivier Calmel.

La qualité mélodique et le groove des compositions d’Olivier Calmel ensoleillaient ce disque et justifiaient à la fois ce label et un suivi attentif du parcours de ce musicien et de ses compagnons, le bassiste Jean Wellers, l’altiste Frédéric Eymard et le jeune batteur canadien Karl Jannuska, à la réputation bien établie dans le milieu du jazz hexagonal.

C’est à ce titre que, dans la joie et dans la bonne humeur, nous les avons retrouvés en ce jeudi 27 avril 2006, au Duc des Lombards, pour un concert du quartet Mafate avec le saxophoniste Christophe Panzani en invité.

Le Duc est un de ces clubs dont la taille modeste et la pénombre savante incitent aux confidences. Olivier nous y expose autour d’une bière son projet d’un deuxième disque, qui sera un tout cohérent composé de mélodies en clins d’œil, d’emprunts, de citations, d’arrangements, d’insertions, de ré-harmonisations de musiques qui l’ont particulièrement marqué, tant classiques (de Bach à Stravinsky), que jazz (d’Antoine Hervé à Bojan Z). Jean et Frédéric nous apprennent que leur chemise à fleurs et leur pantalon blanc s’expliquent par leur récent retour d’une tournée à Mayotte et - last but not least -, Karl nous révèle qu’il était l’après-midi même en studio avec un certain… Brad Mehldau !

Mafate © D.R.

Mais trêve de conversations et place à la musique : « Nomade » commence le concert ; c’est un hommage à Henri Texier qui figurait dans le disque. L’évocation d’une telle légende de la basse ne pouvait laisser impavide Jean Wellers, qui profite de cordes réglées près de la touche pour nous bluffer par un solo très virtuose. Personnage intéressant que ce bassiste, également guitariste, violoniste et… accordeur de pianos, dont l’oreille et le talent mériteraient davantage de reconnaissance que ce que lui vaut sa discrétion.

Rien de ce qui est cordes ne lui est étranger, et c’est donc avec aisance qu’il se saisit de son archet pour introduire « Travelling Mafate », le deuxième morceau, dont Olivier me glisse qu’il figurera sur son prochain disque. Karl Jannuska fait grincer ses cymbales et Frédéric Eymard son alto, la texture sonore acide de l’ensemble étant adoucie par les touches impressionnistes du piano. Cette intro « climatique » ouvre sur un épisode aux couleurs africaines. Jannuska, aux baguettes, aux mailloches ou même à mains nues, transforme ses toms en tambours de la brousse. L’archet frappe les cordes de l’alto, c’est une transe dansante, avec même quelques traces de funk dans le piano, qui se met en place, transformant le paisible Duc en lieu d’un rituel tribal.

Cet épisode met en valeur la section rythmique, dynamique, moteur puissant qui confère même aux rythmes impairs (tel le 7/8 de ce morceau), une pulsation évidente et jouissive dont nous aurons un autre exemple, sur la même métrique, dans le deuxième set, avec « Un certain dimanche », ou mieux encore dans « D’humeur changeante » ou « Alter Ego », où les musiciens nous promènent à travers toutes sortes de mesures impaires, de 5 à 11 temps ! Ces acrobaties ne nuisent jamais au côté charnel - voire dansant - du rythme, comme dans « Close Dance » un cha-cha-cha, où Rémi Merlet intervient aux congas.

Autre marque de fabrique chez Mafate, l’amour de la mélodie professé par Olivier Calmel. Fils du compositeur Roger Calmel, élevé dans l’amour de la musique classique et impressionniste, Olivier possède un précieux talent de mélodiste. On se prend souvent à chantonner des airs nés de sa plume, comme celui qui clôt au piano « Epistrophe », le thème « D’humeur changeante » ou encore « Expansion », qui ouvrait Mafate.

La patte d’Olivier Calmel se reconnaît aussi au pouvoir fortement évocateur de sa musique - laquelle n’est pas intellectuelle, abstraite, même si elle est techniquement très élaborée. Calmel, qui compose fréquemment pour le cinéma - moyens ou longs-métrages -, a le chic pour faire naître des images avec des sons (« Il Palio », « Epistrophe »).

Enfin, le décodage du génome de Mafate serait incomplet si nous ne mentionnions pas le gène de l’émotion. Voici de jeunes musiciens qui n’ont pas peur d’exprimer des sentiments, de jouer sur la corde sensible des auditeurs. Christophe Panzani - qui rejoint le quartet au deuxième set -, entame ainsi de manière poignante « A regret » en solo au ténor. Que dire aussi de « Blues for Daddy » écrit par le leader le jour de la mort de son père, pudiquement repris ici en duo piano-alto ?

Mafate © D.R.

En outre, on ne pourrait donner une idée complète de cette musique sans dire qu’elle est un creuset où se fondent de nombreuses influences, parfois sous forme de clins d’œil ou de citations, comme « My Favorite Things » qui vient pimenter « Les cinq rameaux d’Olivier », ou sous forme d’hommage explicite comme « Z Trail » : le Z, c’est celui de Bojan Z, qui donna des cours à Calmel et continue de l’inspirer. Au fil des sets, on se surprend à percevoir des échos d’E.S.T. ou de Debussy, de Dvorak, Henri Texier ou Julien Lourau.

C’est le sourire aux lèvres et le pied moulu d’avoir tapoté en rythme toute la soirée qu’on quitte le Duc des Lombards en se promettant de ne pas manquer la sortie du disque qu’enregistrera en septembre ce quartet Mafate, rejoint en studio par Christophe Panzani, Vincent Peirani et Rémi Merlet, entre autres…