Entretien

Martial Solal et Olivier Calmel

Martial Solal et Olivier Calmel échangent leurs points de vue sur la musique de film.

Martial Solal, pianiste, compositeur, chef d’orchestre né en 1927 à Alger.
Olivier Calmel, pianiste, compositeur, orchestrateur né en 1974 à Paris.
(Propos recueillis le dimanche 2 décembre 2007.)

Avant de répondre aux questions, Olivier Calmel et Martial Solal ont eux-mêmes lancé le débat.

Martial Solal : Autrefois, 3 ou 4 musiciens se partageaient le marché. Aujourd’hui chaque film a un compositeur différent. Certains musiciens harcèlent les metteurs en scène pour décrocher un contrat. On peut aimer faire de la musique de film. Ce peut être un bonheur spécial de traduire en images ses émotions. On est choisi pour faire de la musique de film. Quelqu’un vous a entendu et pense que vous êtes l’homme de la situation. La musique de film c’est un concours. Si vous la faites, c’est que vous êtes arrivé premier.

Olivier Calmel : La musique de film, c’est un choix. Il faut suivre par affinités des réalisateurs sortis d’écoles de cinéma (23-24 ans), des gens qui feront carrière… Travailler pour la fiction, le documentaire, le court, le long, ce sont des métiers différents. Le métier est très bouché car il y a beaucoup de gens de qualité. Ce n’est pas un concours, un diplôme ni même un beau CV qui fait la différence auprès du réalisateur. Il faut comprendre ses besoins.

M.S. : On n’est jamais sûr de gagner le moindre sou. C’est la loterie : le film va t-il marcher ou non ? Les acteurs de Bertrand Blier a été un échec relatif (300 000 – 400 000 entrées) alors que vu le casting, on pouvait s’attendre à mieux. J’ai fait un film qui a eu moins de 2 000 entrées à Paris.

Martial Solal © F. Journo

CJ : Depuis quand faites-vous de la musique de film ?

O.C : Depuis 3-4 ans. J’en avais envie depuis longtemps. J’ai commencé par un moyen métrage, Close Up, pour le réalisateur Claude Farge avec un bon casting (Clovis Cornillac et Gérald Laroche entre autres) et j’ai gagné pas mal d’argent sur ce film, qui m’a permis de me lancer. A la suite de quoi j’en ai fait une vingtaine, dans des domaines très différents (court, moyen, fiction, clip, pub). Je n’ai pas encore fait de documentaire mais j’y travaille…

M.S. : C’est le hasard. Jean-Pierre Melville a été le déclencheur. Christian Chevalier a fait une musique de film pour lui et je l’ai remplacé pour quelques minutes parce qu’il était malade. Puis Melville m’a recommandé à Godard. Et ça s’est enchaîné jusqu’à ce que je passe de mode. J’ai aussi fait un peu de musique pour la télévision. Le succès d’Ennio Morricone m’a chassé de la musique de film. Aujourd’hui il n’y a plus une ligne de conduite déterminée. Lalo Schiffrin a eu lui aussi sa période de gloire dans la musique de film.

O.C. : C’est lui qui a créé la musique des bas Dim, entre autres choses, pour un film canadien des années soixante qui s’appelait The Fox.

M.S. : C’est d’ailleurs une phrase de Chopin, dans la 4 ème Etude.

CJ : Comment fait on correspondre de la musique avec des images ?

M.S. : On apprend à écrire, à observer certains paramètres, à faire concorder ses sentiments avec l’image, à chronométrer. Il faut s’adapter aux circonstances, au goût des metteurs en scène en faisant croire qu’on suit leurs instructions. Par exemple « Je veux une musique chic. » Qu’est ce que c’est une musique « chic » ?

O.C. : Hier j’ai passé quatres heures au téléphone avec une réalisatrice qui voulait quelque chose de « charnel ». Il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce que l’autre percevait comme « charnel » en musique. Après beaucoup d’improvisations au piano nous sommes finalement tombés d’accord sur un élément thématique.

M.S. : Un accord n’a pas le même sens pour un musicien et un profane. C’est un langage, la musique.

O.C. : Les contraintes du timing se sont allégées grâce aux facilités procurées par l’informatique. Le langage de la musique est contraint dans un langage plus global, celui du film. Au montage final du son, une fois la musique mixée et donc finalisée, le réalisateur peut considérablement changer l’intention musicale en découpant les phrases, changeant les enchaînements et les emplacements prévus, etc. Même John Williams a subi des coupes sur Star Wars.

M.S. : Le metteur en scène va t-il utiliser la musique comme il l’avait dit ? Il peut changer l’ordre.

Olivier Calmel © F. Journo

CJ : Comment a évolué la musique de film ?

M.S. : Elle a évolué dans un contexte.

O.C : Le cinéma a beaucoup évolué. L’informatique permet aujourd’hui des choses inimaginables il y a dix ans. Les réalisateurs peuvent demander des maquettes élaborées. L’avantage est que toute personne ayant un peu de sensibilité sait vite si ça marche ou pas, quelle sera l’orchestration idéale, son coût et ses contraintes de production, et quel sera le timing à l’image. Avec une partition, seuls les musiciens peuvent entendre le rendu musical complet. L’inconvénient est que le réalisateur peut se contenter de ce travail non payé réalisé avec des instruments virtuels. Des orchestrations informatiques qui fonctionnent sur la machine ne fonctionneraient évidemment pas la plupart du temps avec des musiciens. L’ordinateur peut faire prendre des mauvaises habitudes pour toute personne n’ayant pas une connaissance approfondie du travail d’orchestration. Ecrire pour un orchestre est une des choses les plus difficiles qui soient. Par exemple, dans la réalité, l’équilibre des groupes est une chose délicate. Or, à l’ordinateur, le mixage peut souvent considérablement changer ces équilibres acoustiques, parfois au profit de l’idée musicale. On mélange aujourd’hui des instruments virtuels pour le fond et la masse sonore et des instruments réels pour le phrasé et le lyrisme. C’est une technique simple et efficace.

CJ : Avez vous eu des Maîtres en la matière ?

M.S. : Tout ce qu’on apprend comme musique reste. J’ai admiré toute ma vie. J’ai essayé de ne pas être influencé mais on l’est de toute façon. Les informations sont infiniment plus nombreuses aujourd’hui. De nos jours, on ne peut plus dire qu’on ignore quoi que ce soit.

O.C. : J’ai été beaucoup influencé par des compositeurs de film, par des compositeurs classiques, essentiellement du siècle dernier, immanquables pour le traitement sonore et rythmique et leurs orchestres. Je creuse ce qui m’intéresse. Par exemple, le traitement des cuivres chez Williams qui est tromboniste. Bartok, Stravinsky pour le rythme. Respighi, Debussy, Ravel, Mahler, Strauss, Holst et tant d’autres… On est influencé par la génération précédente. Il m’arrive de réécouter quarante fois un morceau sur un DVD. Les compositeurs hollywoodiens ont une grande connaissance du mélange orchestre/machine.

M.S. : On est nourri.

Martial Solal & Olivier Calmel © F. Journo

CJ : Comment faites vous pour que la musique ne paraphrase pas l’image ?

M.S. : La musique de film peut trop ressortir au point qu’on ne regarde plus le film. Quand elle se fond, elle colle au film. Elle doit être discrète et efficace.

O.C. : Cela dépend vraiment du film. Pour les films d’action, la musique paraphrase le discours. C’est normalisé. Il y a des films pour lesquels, sans la musique, le film perd beaucoup. Si la musique se fond parfaitement, elle n’apporte rien de neuf. Une musique omniprésente c’est aussi insupportable.

M.S. : J’ai vu un film où la musique va de la première à la dernière image. C’est ridicule. On dirait une peur du vide. Je suis contre la rengaine. Pour moi c’est d’abord une orchestration plus qu’une mélodie. Il faut travailler la pâte sonore.

O.C. : Aux Etats-Unis, il y a un orchestrateur par groupe d’instruments.

M.S. : Oui mais, aux Etats-Unis, il y a aussi un balayeur pour chaque angle du studio. Ça permet de lutter contre le chômage.

CJ : Existe-t-il des réalisateurs plus ou moins connaisseurs en musique, capables de faire la différence à l’oreille entre disons Richard Clayderman et Keith Jarrett ?

O.C. : Oui, bien sûr. J’ai eu affaire à des réalisateurs très cultivés en matière de musique qui savaient me demander une nomenclature précise. J’ai aussi rencontré des réalisateurs sans oreille. Par exemple, une jeune réalisatrice qui m’avait demandé des instruments de musique du monde. Puis elle m’a demandé de la pop genre Michael Jackson. Puis on en est arrivé à du piano solo, ce que j’aurais pu faire dès le début. Le pire c’est de se trouver en face d’un réalisateur qui veut coller à l’image des musiques qu’il aime.

M.S. : Le pire ce sont ceux qui disent aimer la musique et ne la comprennent pas. Forcément on est en désaccord.

CJ : Martial Solal, pour A bout de souffle, de Jean-Luc Godard, vous êtes arrivé avec un orchestre de quarante musiciens. Serait-ce possible avec un jeune réalisateur aujourd’hui ?

M.S. : Godard voulait du banjo. Etait il sincère ou plaisantait-il ? Ça coûte trop cher, un orchestre, aujourd’hui. Les tarifs n’étaient pas les mêmes à l’époque. Il est étonnant que j’aie eu un éditeur pour le film d’un inconnu. Aujourd’hui, ce serait insurmontable.

O.C. : Seul le long-métrage donne un budget d’orchestre symphonique. Pour le documentaire, on dispose d’au maximum six à sept mille euros pour 25 mn de musique, parfois plus et jusqu’à 40 mn, ce qui est totalement ridicule. Il arrive souvent que les productions fassent appel à des orchestres d’Europe de l’Est car ils sont moins chers.

M.S. : Dans les années 1970, on allait enregistrer à Londres parce que c’était moins cher là-bas, à l’époque.

CJ : Comment écoutez-vous la musique lorsque vous regardez un film ?

M.S. : Ecouter les autres sert à éviter leurs erreurs. Ou la musique nous gêne, ou elle est réussie. Souvent elle me gêne en raison de sa qualité, du mixage, du dosage.

O.C. : J’ai une écoute analytique. Je cherche à comprendre ce qui a été fait. Quand la musique est omniprésente, je ne vois plus le film. La production française est bonne, de mon point de vue. La production américaine s’uniformise beaucoup à cause des normes imposées par les compositeurs de Disney, des block-busters.

Martial Solal © F. Journo

CJ : Retrouvez vous des erreurs en réécoutant vos musiques de film ?

M.S. : On peut toujours faire mieux, mais rejeter ce qu’on a fait, c’est mauvais signe. Le contexte est différent. Il n’y a pas grand-chose que je renie mais, avec du temps, j’aurais pu faire mieux. J’ai eu une fois quinze jours, donc quinze nuits aussi, pour faire 45 mn de musique en big band !

O.C. : On ne dispose parfois que de sept jours pour produire 40 mn de musique. Pour orchestrer, ce n’est pas sérieux. J’ai orchestré pour orchestre moderne bois par trois, chœur et solistes (25 mn), une épopée lyrique, Les Alyscamps, de mon père Roger Calmel. Cela m’a pris trois mois. Avec une semaine pour produire 40 mn, on improvise sur place. L’orchestration se fait comme elle vient. Ce n’est pas sérieux.

CJ : Martial Solal, vous avez improvisé sur un film muet de Marcel Lherbier. Racontez-nous cette expérience.

M.S. : N’importe quel pianiste peut faire ça, improviser devant un film muet. On a l’habitude d’entendre des films muets avec de la musique sans interruption. S’arrêter de temps en temps, ça crée une impression de vide et c’est difficile. On voit quelqu’un qui court et on joue beaucoup de notes. On voit quelqu’un qui dort et on en joue moins. Bref ce n’est pas très intéressant…