Scènes

Lettre de Bruxelles no. 2

Nouvelle exploration de la scène bruxelloise


Cher cousins français,

Pour cette première lettre de Bruxelles de 2002, je voudrais d’abord récapituler les disques belges que j’ai pu vous présenter dans la rubrique Chroniques, afin que vous puissiez plus facilement retracer ce court parcours phonographique belge.

Olivier Collette - Joy and Mystery (voir chronique)
Ivan Paduart Trio - Live (voir chronique)
Rêve d’Eléphant Orchestra - Racines du Ciel (voir chronique)
Anne Wolf - Amazone (voir chronique)

Cette série continuera prochainement avec :
Barbara Wiernik et Jozef Dumoulin - Eclipse
Christoph Erstbösser Trio - Vive les Etrangers
Trio Grande - Signé

Voici maintenant quatre concerts qui montrent bien la diversité de la petite mais active scène belge.

Tout d’abord, mon préféré, celui du Trio Grande (Laurent Dehors, anches et toutes sortes d’instruments, Michel Massot, tubas et trombone et Michel Debrulle, batterie et grosse caisse de Binche) le 16 janvier. Devant un public ayant majoritairement moins de 30 ans (le fait est assez rare pour être signalé), ils ont fonctionné à l’énergie, au lyrisme et à l’humour pour le plus grand plaisir de tous. Ils ont sauté avec brio de morceaux oniriques et doux à des parties de saxophone ayleriennes sur rythmes funk, en passant par des morceaux (comme Le chat sur le toit) exploitant à fond la plume si personnelle de Michel Massot. Le tout avec une admirable concision qui a permis d’éviter les redites (chaque morceau ne durant qu’autour de 6 minutes chacun) et un humour qui ne fait que renforcer l’intérêt de la musique.

J’ai entendu la basse de Jean-Louis Rassinfosse pour la première fois sur l’album d’Olivier Collette et j’étais déjà impressionné par sa sonorité. Mais en concert, il est littéralement bouleversant. Le 9 février, l’Ame des poètes (Paul Vaina saxophone soprano, Fabien Degryse guitare acoustique), sans aucune amplification, a rendu un bel hommage à Brassens en reprenant ses chansons. Ces trois musiciens sont sans aucun doute des virtuoses, mais leur capacité à puiser au plus profond des émotions de chaque morceau était véritablement saisissante. Je reviens à Rassinfosse pour dire que lors de ses morceaux en solo (la contrebasse en position de guitare !), j’ai frissonné de la première à la dernière note. Il faut aussi noter la mise en scène (trois contrebasses pendues depuis le plafond, petite « chorégraphie ») et le sens de l’humour des musiciens.

En remontant jusqu’au 30 novembre de l’année dernière (à l’époque où l’entrée se payait encore en francs belges), je me souviens d’un bon concert du quintette du trompettiste Gino Lattuca, avec Kurt Van Herck (saxophones), Christoph Erstbösser (piano) et Mimi Verderame (batterie) (désolé pour le nom du bassiste, le plus avant-gardiste du groupe). Ici se distillait du bop millésimé sixties (même dans les compositions originales). Après un premier morceau qui me laissa indifférent, le concert a trouvé son rythme de croisière avec Inner Urge de Joe Henderson. Alors ont pu se dérouler d’excellents solos, notamment des soufflants et de Verderame, sur d’excellentes compositions, avec le Sunset (où était-ce Sunrise ?) de Lattuca en point d’orgue : une belle mélodie contemplative, suivie de solos restant dans cet esprit. Je pense que les deux autres membre du groupe étaient moins impliqués dans le concert, car ils étaient des remplaçants de dernière minute (Michel Herr au piano et Sal Larocca à la basse étaient prévus à l’origine).

Enfin, le concert qui était à la fois le moins agréable à entendre et celui avec la personnalité la plus intriguante. Le trio composé d’Eric Thielemans à la batterie, d’André Goudbeek au saxophone alto et à la clarinette basse et d’Eddy Loozen au piano se produisait à mon Café Central fétiche le 9 janvier. Le problème de ce concert est qu’il semblait n’y avoir que très peu d’écoute entre les membres du trio : Thielemans tapait très fort, Goudbeek soufflait constamment et à deux ils noyaient leur leader, contraint à être inaudible. Ce n’est que quand les deux premiers ont joué avec un peu plus d’humour que la musique est devenue réellement intéressante : lors d’une samba, ou à la fin quand Thielemans s’amusait à déconstruire et parodier des rythmes de shuffle et de swing.

Si je vous parle de ce concert, c’est plutôt pour vous présenter cet étrange personnage qu’est Loozen, dont j’espère pouvoir vous parler plus longuement prochainement, une sorte de Monk flamand. De par l’étrangeté de l’apparence et du comportement d’abord, ensuite de par sa manière de jouer subtilement décalée par rapport aux attentes, qu’il joue un standard, penche vers le classique ou le free. Un interlude en solo durant ce concert (suite aux demandes du public, et préfacée en disant que ça faisait 10 ans qu’il refusait de jouer en solo en Belgique parce qu’en quand on joue en solo, personne n’écoute) ainsi qu’un autre solo impromptu après le concert de Christine Wodrascka (toujours au Café Central) m’ont totalement enchanté. Je le signale, en espérant un plus long développement.

Merci, cousins, d’avoir lu cette (trop) longue lettre.