Chronique

Lumen Drones

Lumen Drones

Nils Okland (violon Hardagen), Per Stainer Lie (g) & Orjan Haaland (dr)

Label / Distribution : ECM

Ce sont de grands paysages. De grandes étendues diaphanes, où les lignes ne sont pas trop marquées, où les sons tenus et les mélodies discrètes s’évaporent au fil des pistes parcourues (huit). On pourrait penser tout cela bien froid et brumeux, peut être insulaire, sans doute mélancolique, mais en réalité la musique de Lumen Drones recèle une chaleur masquée, une sorte de source thermale où le blanc monotone côtoie la chaleur et les gris bouillonnants.

Subtil. Et contemplatif. Nils Okland (violon Hardanger - violon norvégien à quatre ou cinq cordes sympathiques), Per Stainer Lie (guitares) et Orjan Haaland (batterie) mêlent avec finesse et délicatesse les sons post-noise, quelques saturations lointaines et des matières électriques et fébriles à une rythmique élégamment répétitive dans de (pas si) longues et lentes pastilles à laisser fondre.

« Drone music » comme pourrait le suggérer le titre ? Peut être pas. Pas au sens d’Eliane Radigue ou des aventures sonores de Sunn O))), mais certainement au sens de vastes horizons acoustiques qui s’étalent, se métamorphosent, se combinent, se figent et se déplacent doucement. Une atmosphère aux drôles d’airs fantomatiques. Si le lumen est l’unité de mesure du flux lumineux, ici, cette mesure prend la caractéristique d’un état en équilibre, d’une ivresse agréable et vaporeuse. De ces moments grisants, « Keelwater » en est une belle expression… beauté translucide et transparences fragiles. Il n’y a d’ailleurs rien de brutal dans ces déambulations sans cesse en mouvement. Plutôt une transformation patiente des architectures musicales et des imbrications instrumentales. On serait plus proche des albums du label Constellation, ou, en plus jazz, des Australiens The Necks et de leurs vastes et hypnotiques balades sonores improvisées.

Finalement, Lumen Drones est une musique paradoxale. Une tectonique tranquille. Avec ses forces (saturation et larsens de guitares, batterie appuyée parfois, effets discrets) et sa légèreté à la saveur d’un road trip acoustique légèrement givré. Ces sons sont à porter à l’oreille en se laissant aller. Il faut de la disponibilité d’esprit et de corps pour en savourer le raffinement et le tranchant feutré. On s’imagine alors au cœur de la nouvelle de Buzzati « Douce nuit » dans laquelle, sous l’aspect lointain calme et délaissé, presque romantique, sourdent en fait de vrais tumultes et de sombres sensations. C’est aussi le travail de mixage qui a renforcé cet état d’esprit, en éloignant les plans frénétiques et tapageurs pour y préserver un doux oxymore acoustique.

Il est constamment curieux et agréable d’entendre des sons et des manières de faire qui transportent ainsi les caractéristiques fantasmées ou réelles d’un pays et d’une culture. Une respiration différente, une inventivité d’ailleurs, des codes et références inconnues. Ainsi, même sans savoir que tout cela vient de Norvège, on en retient une étrangeté énigmatique au bel effet et à l’envoûtement simple. Au soft power répond donc ici en écho la soft music.

Lumen Drones est un album à écouter au crépuscule, peut-être, en restant ouvert à la rêverie et à l’abandon physique ; une musique-image, boréale, une musique pour chat chartreux qui regarde tranquillement, au chaud et par la fenêtre, le blizzard glacé siffler au-dehors.