Chronique

Magma

« Mythes et légendes » Volume II

Chr. Vander, dr ; E. Borghi & F. d’Oelsnitz, kb ; Ph. Bussonnet & Jannick Top, b ; J. McGaw, g & voc ; Antoine Paganotti, Himiko Paganotti, Isabelle Feuillebois & Stella Vander, voc ; invité : Klaus Blasquiz, voc

Label / Distribution : Seventh Records

Nous avions consacré à l’époque un compte rendu particulièrement conséquent aux quatre semaines de concerts données par Magma au Triton en mai et juin 2005 à l’occasion de son 35ème anniversaire. Aujourd’hui nous sont proposés, au rythme d’un par trimestre environ, les DVD témoignant de cet événement qui restera gravé dans les mémoires des amateurs de la musique de Christian Vander. Nous nous pencherons ici sur le deuxième volume de ces Mythes et légendes, non pas pour répéter ce que nous avons déjà écrit, mais pour nous intéresser avant tout à l’objet et à la façon dont il rend (ou non) justice au concert qu’il nous propose de revivre.

Magma avait déjà publié un DVD, Theusz Hamtaahk - Trilogie au Trianon, enregistré lors des concerts de mai 2000 au Trianon. La qualité du contenu musical, proposant pour la première fois l’intégralité de la trilogie mythique, excusait une réalisation déficiente, particulièrement au niveau de la synchronisation entre son et image. Magnanime, le groupe a reconduit la même équipe, en dépit du ratage de la captation, au Triton déjà, de la reformation d’Offering en 2003. Pour redorer son blason, cette équipe n’a pas lésiné sur les moyens, ajoutant à l’installation vidéo de la salle lilasienne plusieurs cadreurs mobiles, la quantité d’images recueillie expliquant en grande partie la durée de la post-production et les retards intervenus dans la publication des DVD.

Les progrès accomplis sont indéniables, en particulier sur le point le plus litigieux : ce que l’on voit à l’écran correspond cette fois à ce que l’on entend, et c’est le principal. La prise de son, plutôt naturaliste, ne cherche pas à rajouter à une expérience auditive assez spectaculaire en soi pour impressionner. Quant à la réalisation, on la qualifiera de compétente, sans plus. Les cadrages ne sont pas toujours très esthétiques, la prédominance excessive des gros plans donne une impression de claustrophobie que la taille de la salle ne suffit pas à expliquer, et certaines imperfections techniques demeurent : ligne pointillée blanche en haut à gauche de l’écran sur certains plans, et mise au point floue, compensée tant bien que mal par un montage un peu trop frénétique. Moins frénétique, heureusement, que celui du DVD de la première semaine, carrément épileptique. L’insuffisance des éclairages achevait de rendre le spectacle éprouvant : heureusement, le préposé aux lumières a été remercié entre-temps, et la différence est sensible… Le concert lui-même est complété par des séquences tournées en coulisses et pendant les balances.

Plus encore que son précédesseur, ce Volume II recoupe le répertoire du DVD du Trianon puisque ses pièces de résistance sont les deuxième et troisième mouvements de la trilogie « Theusz Hamtaahk ». Les versions proposées méritent toutefois l’intérêt, pour des raisons différentes. De « Wurdah Itah », Magma nous propose ici une interprétation à tous points de vue définitive, l’orchestration centrée sur les claviers et les voix mettant particulièrement bien en valeur la beauté de ce qui reste le plus riche et varié des trois mouvements. L’intensité du moment ira, ce soir-là, jusqu’à provoquer l’évanouissement d’un spectateur du premier rang, dont l’histoire ne dit pas s’il fut victime d’un simple coup de chaud ou du fameux syndrôme de Stendhal…

Quant à « Mëkanïk Dëstruktïw Kömmandöh », c’est la présence de Jannick Top à la basse, qu’il tenait sur l’enregistrement d’origine, qui lui confère son cachet particulier, en dehors du fait que, contrairement au Trianon, le groupe n’y est pas renforcé par une section de cuivres. Outre le plaisir de revoir le visage familier, reconnaissable entre mille, de l’ancien alter ego de Vander (qui lui dédie à l’intérieur du boîtier un de ces textes mystico-nébuleux dont il a le secret), la mise au chômage technique de l’excellent Philippe Bussonnet ne se solde pas par un bénéfice musical caractérisé. On est même en droit de penser le contraire, mais on s’abstiendra d’en remettre une couche sur le sujet, de peur de susciter l’ire de quelques fans intégristes - et il y en a, même s’ils ne sont pas aussi nombreux qu’on le prétend parfois.

Là où nous les rejoindrons, en revanche, c’est dans les éloges que nous prodiguerons collectivement à la sublime version de « De Futura » proposée en rappel. Certes, il aura fallu avant cela supporter de la part de Top une suite pour violoncelle de Bach (excercice vain qui renvoie à un travers fréquent du rock progressif des années 70, dont on aurait pu croire Magma à jamais préservé), et un petit exercice de démultiplication par pédalier interposé, vaguement ennuyeux. En voyant le reste du groupe réinvestir la scène, on ne peut réprimer un soupir de soulagement. La suite achève de nous remettre en selle. Klaus Blasquiz, débarqué sur scène à l’improviste pour le final de « Mëkanïk », a décidé de rester (ça n’aura manifestement pas suffi pour que son nom soit cité dans les crédits) : ce sont donc quatre vétérans du Magma des années 70 qui sont réunis, au milieu de leurs cadets, pour ressusciter la composition emblématique de Jannick Top (que, paradoxalement, le groupe aura beaucoup plus souvent joué sans lui qu’avec lui). Le riff est d’abord pris à un tempo étonnamment lent, un choix dont l’intérêt devient apparent lors des moments d’accalmie, dont la beauté s’en trouve décuplée. L’accélération précédant le final n’en sera que plus vertigineuse. Visuellement, le spectacle vaut aussi le détour, entre un Vander plus déchaîné que jamais derrière ses fûts et la course effrénée des doigts de Top, Philippe Bussonnet (à la basse piccolo) et James Mac Gaw sur leurs manches respectifs, alors que le tempo monte à des niveaux surhumains… Un moment mémorable !

La présentation de l’objet est sobre, quasi minimaliste, totalement noir à l’exception du titre et du logo doré de Magma. Une fois l’intégralité de la série publiée, les quatre volumes pourront être réunis dans un même coffret. Les deux suivants nous permettront de découvrir la seconde trilogie magmaïenne, constituée de « K.A. », « Köhntarkösz » et « Emëhntëht-Rê », cette dernière restant inachevée (il faudra, pour la version complète, attendre le prochain album studio de Magma, dont l’enregistrement a débuté le 15 janvier).

Une nouvelle, et peut-être ultime (avant, qui sait, un répertoire inédit ?), étape dans le bilan de son œuvre que Christian Vander a décidé d’entreprendre - pour notre plus grand plaisir - il y a maintenant une dizaine d’années.