Chronique

Roberto Ottaviano Eternal Love

People

Roberto Ottaviano (ss, voc), Marco Colonna (bcl), Alexander Hawkins (p), Giovanni Maier (b), Zeno De Rossi (dms).

Label / Distribution : Dodicilune

Avec un premier Eternal Love paru en 2019 sur le fidèle label Dodicilune, le saxophoniste Roberto Ottaviano installait un quintet qui allait bien vite prendre le nom d’un album décidément crucial dans la riche carrière du vétéran italien. Dédié à l’amour du jazz, ou du moins à son expression la plus pugnace et désaliénante, on avait pu juger, notamment sur une belle reprise de Coltrane, de la puissance de l’orchestre porté par une base rythmique solide où la batterie de Zeno de Rossi est toujours remarquable. C’est la marque de fabrique d’Ottaviano avec cette formation, parvenir à une forme de rigueur absolue ou l’amour convoqué n’est ni une bluette de passage ni un grand tout messianique et fleuri, mais une clarté profonde qui nimbe la musique de chaleur et de précision.

Enregistré live tout autour de l’Europe de 2022 à 2023, People est donc le troisième album d’Eternal Love, sans doute celui où la chimie de l’orchestre est la plus forte ; on peut goûter dans le languide « Caminho das Águas » la connexion permanente d’Ottaviano avec son fidèle clarinettiste Marco Colonna. Mais que dire des liens resserrés entre la contrebasse de Giovanni Maier et le piano d’Alexander Hawkins ? Dans « Mongs Speakin’ », c’est Maier qui ouvre le bal de son jeu anguleux, vite accueilli par un piano ponctuant la parole de chacun, accompagnant le chaos de la clarinette basse et attisant la flamme d’un amour musical qui se consume. Et peut même aller chercher dans des esthétiques inédites, à l’image du « Gare Guillemans » de Misha Mengelberg où Ottaviano donne même de la voix dans un scat étonnant.

Le dialogue de Maier et Hawkins se poursuit dans « Callas », morceau central qui empoigne la musique comme une pensée universelle. Le jeu d’Hawkins est simple et heurté, il prépare le terrain aux soufflants sur la longueur : d’abord Colonna dans un silence recueilli, puis Ottaviano qui s’engouffre dans le puissant son d’archet de Maier. Ce qui marque dans ce People, c’est à la fois l’approche très incarnée de la musique, puissamment ancrée au sol par le rythme insatiable, et cet idiome coltranien qui survole la musique, et qui était déjà prégnant dans les précédents enregistrements. À commencer bien sûr ici par « Ohnedaruth », le nom que Coltrane s’était donné en sanskrit. Sans expurger totalement le mysticisme, l’approche d’Ottaviano et de ses camarades met davantage la lumière sur la solidité, le caractère immuable de musiques toujours intensément rebelles. L’amour ne tarit pas.