Chronique

Magma : vers une nouvelle Epok ?

Epok 4

Après une dizaine d’années au cours desquelles le groupe Magma a connu une étonnante stabilité dans sa formation – on se souvient des multiples bouleversements des années 70 et de l’incroyable carrousel de musiciens hors normes ayant intégré la secte des hommes en noir (Jannick Top ou encore un Didier Lockwood tout juste sorti de l’adolescence) la bande à Christian Vander va devoir une fois de plus se recomposer et entamer, c’est tout le mal qu’on lui souhaite, une nouvelle étape dans sa désormais longue vie - on annonce par exemple une célébration de son quarantième anniversaire pour le mois de février 2009 au Casino de Paris…

Alors que le groupe travaille à l’enregistrement de son prochain disque, Ëmehntëht-Rê, un bouleversement assez important secoue en effet le petit monde de la Zeuhl : après plus de vingt ans de bons et loyaux services aux côtés du batteur, tant dans le cadre du Trio Vander, d’Offering, d’Alien Quintet ou de Magma, Emmanuel Borghi vient de décider assez brutalement de quitter le groupe, suivi très vite par… son épouse Himiko Paganotti et par Antoine Paganotti, frère de cette dernière, tous deux officiant au chant. Une série de départs qui imposent à Magma un recrutement express, des concerts se profilant à brève échéance. Mais parce qu’il faut avancer, toujours, Vander semble plus que jamais déterminé à poursuivre l’aventure et c’est tant mieux pour le monde de la musique. Les noms des remplaçants n’ont d’ailleurs pas tardé à circuler et c’est le jeune pianiste Bruno Ruder qui vient d’intégrer la formation, juste avant que l’on n’apprenne qu’Hervé Aknin (qui préside par ailleurs aux destinées du sextet vocal Ellul Noomi) va remplacer Antoine Paganotti au chant.

Le groupe semble donc vivre actuellement un moment très particulier dans son évolution : Seventh Records vient de publier ce quatrième et ultime DVD d’une série qui offre à son public la chance unique de rassembler dans le contexte intimiste et chaleureux du Triton la quintessence de sa discographie [1], interprétée en mai et juin 2005 tout au long d’une série de vingt concerts divisés en quatre époques (une par semaine, donc). Unité de temps, unité de lieu, unité humaine (avec le renfort de quelques invités ayant marqué l’histoire du groupe tels que Klaus Blasquiz, Jannick Top ou Benoît Widemann), inutile de chercher plus loin : celui qui souhaiterait se lancer dans l’aventure, car c’en est une, de la découverte de la Zeuhl serait bien inspiré de commencer par le visionnage intégral et chronologique de ces quelque huit heures de musique. Tout y est : depuis les premiers albums avec leurs arrangements de cuivres, incluant un « Kobaïa » très proche de la version originale, suivis de la première trilogie Theusz Hamtaahk [2], jusqu’au phénoménal et incantatoire « Zëss », dont l’interprétation hallucinée chantée par un Christian Vander délaissant pour un temps peaux et cymbales, est d’une intensité qui force le respect. On boudera d’autant moins son plaisir que ces concerts bénéficient d’une captation réussie et très dynamique, à mettre notamment au crédit du jeune Marcus Linon, fils de Stella Vander et de son mari Francis, ingénieur du son. Parce que Magma, il faut le savoir, c’est toujours, de près ou de loin, une sacrée histoire de famille. Qui, le temps d’« Kobaïa » final où tout le monde ou presque se retrouve sur scène, offre un tableau réjouissant !

Les Lorrains (et quelques autres il est vrai) sont donc de petits veinards qui ont eu la chance de goûter à une synthèse de la synthèse dans le cadre des Nancy Jazz Pulsations 2007. Peut-être se disent-ils même aujourd’hui que, au vu des récents événements, jamais cette histoire ne leur sera plus racontée… Magma proposait en effet, le temps de deux soirées très condensées [3], une nouvelle édition légèrement expurgée de sa rétrospective, au grand bonheur de Patrick Kader, directeur artistique du festival, qui ne cachait pas son plaisir de constater que l’écrin rouge vif de l’Autre Canal faisait salle comble les 9 et 10 octobre derniers sur le seul nom du groupe. Ce qui n’enlève rien au talent des formations venues assurer les premières parties (Bernard Struber rendant hommage à la musique de Frank Zappa et, le lendemain, Eric Le Lann et Jannick Top célébrant, eux, leur mariage du ciel et de la terre). Mais avec un programme aussi riche, vitaminé de surcroît par la présence de plusieurs invités historiques [4], il y avait fort à parier que la réussite serait au rendez-vous. On retiendra aussi de la seconde soirée une interprétation intégrale d’Ëmehntëht-Rê et sa conclusion majestueuse au climat presque mortuaire.

Un moment crucial en effet, car avec ces enregistrements qui, enfin réunis, fixent à jamais un répertoire délivré en son temps dans un désordre pas forcément contrôlé, et avec ce prochain disque, encore inachevé aux dires de Christian Vander, et qui clôt un cycle important : celui de sa deuxième grande trilogie [5], on n’est pas loin de penser qu’une nouvelle direction va s’imposer à celui qui dit n’être pas le propriétaire mais simplement le récepteur de sa musique. Et l’on veut croire que ce changement de formation sera le vecteur d’une nouvelle dynamique, mais aussi d’une transformation des couleurs de ce groupe à nul autre pareil. Qui cherche, toujours et encore, à tracer un chemin unique sur lequel les fans du groupe (toutes générations confondues) ont été – et sont toujours – nombreux à crapahuter, fidèles, râleurs parfois, exigeants souvent, mais éternellement prêts à participer à la fête et à célébrer leur idole - Vander, ce gourou parfois habité d’idées sombres, mais jamais tricheur sur scène, où il s’offre à son public comme s’offrait lui-même son maître en musique, John Coltrane. Coltrane qui faisait tout récemment son retour dans le répertoire du groupe puisqu’au mois de février, Magma interprétait sur scène « Lonnie’s Lament », la magnifique composition du saxophoniste qui illuminait l’album Crescent, ici ré-arrangée par le vibraphoniste Benoît Alzary, nouvelle recrue dont l’arrivée dans le groupe constitue un incontestable enrichissement.

Christian Vander fête cette année son soixantième anniversaire : souhaitons-lui une prochaine décennie de musique habitée et hautement dosée en énergie vitale. Souhaitons-lui aussi de conserver toute sa force, qu’on voudra imprégnée d’une sagesse que lui confère désormais son expérience. On sait que jamais l’homme ne connaitra l’apaisement, mais on devine qu’il a encore beaucoup à dire.

par Denis Desassis // Publié le 16 mars 2008

[1toutes les compositions appartiennent à la période 1969-1981

[2dont la conclusion, « Mëkanïk Destriktïw Kommandöh », est aujourd’hui encore l’hymne du groupe

[3deux fois deux heures pour résumer l’intégrale de ces Mythes & Légendes, saluons la performance

[4Jannick Top, toujours lui, Benoît Widemann, Klaus Blasquiz mais aussi Bertrand Cardiet, chanteur de la période 1996-1998, pour un « De Futura » d’anthologie

[5composée entre 1973 et 1975 et dont les trois volets sont K.A, Köhntarkösz et Ëmehntëht-Rê