Chronique

Rymden

Space Sailors

Bugge Wesseltoft (p, kb, elec), Dan Berglund (b, elec), Magnus Öström (dms, elec, voc).

Label / Distribution : Jazzland Recordings

L’histoire est simple et plutôt belle, une sorte de revanche sur le mauvais sort… Comme nous l’avions déjà souligné à l’occasion d’un concert de Rymden à Nancy Jazz Pulsations 2019, c’est une « union sacrée entre les représentants de ce qu’on nommait au début du XXIe siècle le future jazz, mouvement musical en provenance de Scandinavie » qui se joue avec un groupe dont l’histoire est tout sauf banale. D’un côté, une cellule rythmique composée de Dan Berglund et Magnus Öström, soit celle d’une formation dont la vie fut écourtée par la disparition brutale de son leader, Esbjörn Svensson ; de l’autre, le pianiste Bugge Wesseltoft, chantre de la « New Conception of Jazz », qui souhaitait inscrire à nouveau son travail dans le cadre d’un trio. Chacun mesurait sans doute le risque lié à l’élaboration d’un univers créatif qui ne manquerait pas d’être évalué à l’aune des histoires passées.

Le premier album de Rymden avait balayé les possibles réserves : Reflections & Odysseys n’était en rien une pâle copie de E.S.T., tant s’en faut. Le nouveau trio avait su se démarquer de ce dernier, tout en conservant quelques traces heureuses de l’aventure suédoise. Comme l’association entre le jeu si caractéristique par sa tension, recourant au besoin à l’électrification, de Dan Berglund et la frappe discrète mais toujours intense de Magnus Öström. Bugge Wesseltoft veillait au grain de son côté et avait su imprimer une identité nouvelle, empreinte tout à la fois d’épure et de quête de vastes panoramas sonores.

Space Sailors, paru chez Jazzland, confirme les qualités qu’on avait pu reconnaître à son prédécesseur. Il va même au-delà, décochant des mélodies persistantes qu’on ressent comme des chansons sans paroles (« The Space Sailor », « Terminal One »). Ce nouveau rendez-vous met en évidence la cohésion d’un trio qui s’envole à la moindre occasion. Rymden élabore un idiome aux couleurs d’un jazz céleste qui puise beaucoup dans l’énergie du rock (« The Life And Death Of Hugo Drax », « The Final Goodbye ») par sa scansion et sa charge électrique. Mais il se lance à la conquête de grands espaces (n’oublions pas que Rymden signifie espace en suédois) qui fleurent bon parfois le jazz rock (« The Actor » et sa pulsion façon Tony Williams Lifetime), voire le rock progressif des années 70. Bugge Wesseltoft, très à l’aise dans ce nouveau cadre, passe avec le plus grand naturel d’un piano minimaliste, aux accents romantiques, dont il semble vouloir suspendre les notes (l’introduction de « My Life in a Mirror »), à des envolées lyriques au synthétiseur à la sonorité vintage (« Free As a Bird », peut-être le sommet du disque). Et lorsque la présence subliminale d’E.S.T. se glisse discrètement dans la musique, Rymden change de cap et file entre les constellations pour rappeler qu’il existe bien en tant que tel : les deux parties de « Arriving at Ramajay Part I » sont la meilleure illustration de cette filiation tout autant que de l’identité du groupe.

Rymden maîtrise le temps, qu’il semble capable de ralentir ou d’accélérer au gré de son inspiration. Space Sailors est une invitation au voyage, l’antidote parfait aux vicissitudes de nos temps confinés. Il suffit de fermer les yeux et de s’abandonner à sa poésie étoilée.

par Denis Desassis // Publié le 29 novembre 2020
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