Chronique

Pierrick Pédron & Gonzalo Rubalcaba

Pédron Rubalcaba

Pierrick Pédron (as), Gonzalo Rubalcaba (p), Laurent Courthaliac (arr), Daniel Yvinec (dir).

Label / Distribution : Gazebo

Il flotte sur cet enregistrement comme un parfum d’éternité… Celui-ci émane sans doute de ce talent particulier consistant à suspendre le temps, un art maîtrisé à la perfection par Pierrick Pédron et Gonzalo Rubalcaba, ici réunis et engagés dans une conversation symbolisant sans doute au plus près, dans une quasi-nudité, ce langage à nul autre pareil qu’est le jazz.

Quelle étonnante aventure que cette rencontre entre un saxophoniste, qui nous a accoutumés depuis quelques années à la diversité de ses approches musicales, et un pianiste que l’on sait auréolé d’une renommée prestigieuse ! Il aura fallu une conversation (et sa part d’impromptu) entre Pierrick Pédron et son complice Daniel Yvinec pour que s’échafaude un beau jour l’idée d’un disque en duo, presque à la manière d’un défi à relever. Passons sur le travail de réflexion quant au répertoire à mettre au menu pour souligner la part essentielle prise par Laurent Courthaliac en charge des arrangements. Au bout du compte une poignée de standards, pas forcément les plus connus, dans un survol de plusieurs décennies de musique, où l’on évolue avec bonheur de l’univers d’un Sydney Bechet (« Si tu vois ma mère ») à celui de Carla Bley (« Lawns »). L’histoire veut que Pierrick Pédron et Gonzalo Rubalcaba aient fait connaissance quasiment au moment d’enregistrer. Cela ne fait qu’ajouter une pointe de mystère à cette création. Place alors à la musique, qui devra jaillir spontanément.

Le résultat est confondant de grâce. Pas question de se la jouer virtuose et encore moins d’en imposer à l’autre par un excès de présence. La musique en général et le duo en particulier sont des exercices d’équilibre. Les deux protagonistes ici en action savent à chaque instant trouver l’exacte distance qui leur permet de se présenter en pairs n’ayant rien d’autre à démontrer que leur soif d’accomplissement. Le piano de Gonzalo Rubalcaba est un orchestre à lui seul, le saxophone de Pierrick Pédron un maître chanteur. Les deux instruments savent parler d’une même voix aussi bien qu’ils sont capables de s’échapper en toute liberté, poussés par la présence de l’autre. Surtout que ces deux-là ont la capacité de faire passer toute une gamme d’émotions, entre contemplation et jaillissement joyeux, s’insinuant dans les moindres interstices d’une musique dont le pouvoir mélodique apaisé peut aisément céder la place à une exploration beaucoup plus aventureuse (« Ezz-Thetic », signé George Russell, est un bel exemple de ce large spectre… esthétique !).

On voudrait que ce disque réconfort, sobrement intitulé Pédron Rubalcaba, dure plus encore. On songe à d’autres duos saxophone piano, nombreux, avec une pensée par exemple pour celui, si émouvant, que formaient Kenny Barron et Stan Getz en 1991, quelques semaines seulement avant la mort de ce dernier (People Time). Mais surtout, on est gagné par l’idée que cette confrontation amicale, pour ne pas dire fraternelle, doit une part de son intensité aux temps complexes que nous traversons depuis plusieurs années. Comme s’il s’agissait désormais de se concentrer sur l’essentiel : la musique en son état le plus naturel, dépouillée de tout artifice. Droit au cœur.