Chronique

Christophe Rossi

Christian Vander - A vie, à mort et après...

Se risquer à l’écriture d’un livre autour de la musique de Magma et de son créateur Christian Vander n’est pas chose aisée. L’homme, peu volubile par nature, sait parfois être un provocateur en même temps qu’un créateur sans équivalent sur la scène musicale. Il est le maître à jouer d’un univers à part entière où l’on parle un idiome appelé kobaïen, du nom de la planète Kobaïa qui se voulait, à l’origine, « la terre sans les cons » et où l’on pénètre conscient que le voyage ne sera pas forcément de tout repos. Vander et Magma, plus de quarante ans de musique, deux trilogies composées entre 1970 et 1975 mais publiées dans le désordre entre 1973 et 2009, une émanation acoustique et plus libre appelée Offering en hommage à John Coltrane, des formations jazz et quelques expériences en solitaire. Et surtout, attachée à ses basques ornées d’une griffe, une cohorte de fidèles qui suivront le batteur chanteur compositeur jusqu’à son dernier souffle.

Christophe Rossi, rédacteur en chef de Batteur Magazine, fait partie des fans de la première heure : il l’explique dans un avant-propos où l’on comprend que ce livre est en fait un long entretien réalisé en deux temps. Il est illustré de nombreuses photographies et de quelques autres documents souvenirs, tels des billets d’entrée aux concerts. On notera aussi que l’entretien est jalonné de chroniques des albums les plus marquants, que l’on doit à Vander lui-même. Bref, un bel objet, édité chez Naïve Livres dans la collection « Jazz Land », dont la finition mérite d’être soulignée.

C’est donc l’histoire d’une vie qui nous est contée, en commençant par l’enfance et ses blessures mais aussi ses souvenirs heureux de musique et de découverte du jazz. Ce sont probablement les plus beaux passages, aussi émouvants que les évocations de John Coltrane, que Christian Vander a fini par considérer comme son père spirituel et dont il connaît la musique mieux que personne. Puis vient Magma, ses années de galère, ses nombreux changements de personnel (avec des musiciens tels que Bernard Paganotti, Didier Lockwood ou Jannick Top), les turbulences à l’aube des années 80, le retour au jazz, la naissance d’Offering, la création de Seventh Records pour reprendre la main, avec Stella Vander, sur un catalogue éparpillé et dont les droits s’étaient évanouis.

Toute cette histoire est assortie de considérations relatives au processus de création, à la pratique quotidienne de la musique. Un chapitre est même intitulé : « Apprendre à la dure » ; il en dit long sur l’engagement de Vander dans sa musique, et surtout sur son caractère atypique dans le monde de la musique. On ne doit pas oublier que ce batteur – mais aussi chanteur – hors du commun vit en musique et sait atteindre la transe sur scène. On peut ne pas être sensible à son esthétique, mais il est difficile d’ignorer sa démesure et la puissance de son inspiration. Pour finir, l’auteur propose une discographie complète dont le mérite est de balayer en quelques pages l’ensemble de l’œuvre de Vander, toutes formations confondues. [1] On peut penser que les spécialistes de Magma n’apprendront pas beaucoup de choses en lisant ce Christian Vander - A vie, à mort et après... : ils ont déjà tout dévoré de ses propos depuis belle lurette ; mais le livre est là, comme un bilan de l’entreprise, dressé par le chef lui-même. Ce qui, on l’admettra, constitue la limite naturelle de l’exercice, dans la mesure où il est la transcription d’un monologue.

La bibliographie consacrée à Christian Vander et son œuvre reste limitée à ce jour : on se souvient du Magma d’Antoine de Caunes publié en 1978 chez Albin Michel (devenu un collector) ; en 2010, Philippe Gonin écrivait chez Le Mot et le Reste son Magma – Décryptage d’un mythe et d’une musique [2] ; pour finir, Klaus Blasquiz, chanteur historique des dix premières années du groupe, vient de proposer son Magma – Au cœur du volcan, qui, comme son nom l’indique, raconte l’histoire vécue de l’intérieur.

Mais le vrai livre sur Magma et son démiurge reste peut-être à écrire : celui qui abordera ces folles décennies de musique et de vie sous l’angle de l’antagonisme fondateur de toute la création de Christian Vander, la dualité amour/désespoir qui le hante depuis toujours et constitue la source d’un Cri dont tout le mystère n’est pas éclairci. Il faudra sans doute attendre un bon bout de temps pour le lire. D’ici là, ce livre-entretien à la réalisation soignée, à défaut d’offrir de réelles nouveautés, est une bonne porte d’entrée – ouverte par Vander lui-même – dans l’univers d’un artiste à jamais singulier car totalement habité par la musique dont il parle avec tant de ferveur. Après tout, on ne lui demande rien d’autre.

par Denis Desassis // Publié le 25 novembre 2013

[1Etrangement, le disque The Unnamables, enregistré en 1972 par une formation clone de Magma appelée Univeria Zekt, n’apparaît pas dans cette discographie.

[2Un livre qui reçut parfois un accueil assez grinçant au prétexte officiel de quelques erreurs de détail, mais en réalité parce que l’auteur osait franchir la barrière de l’écriture admirative et se risquait à prendre un recul critique sur certains disques. Alors qu’en son temps, le livre d’Antoine de Caunes, pourtant lui-même émaillé de fautes plus grossières (Stella était présentée comme la sœur de Vander, par exemple), n’avait pas subi les mêmes assauts critiques.