Entretien

Manuel Adnot

Le guitariste nantais est au coeur de plusieurs projets artistiques d’envergure.

Le jeune guitariste Manuel Adnot participe à plusieurs projets qui, tous, prennent de l’ampleur en cette année 2016 : le projet Ueno Park, en solo, dont le disque vient de sortir, le groupe April Fishes et le tout nouveau disque Carpe d’Or, le succès grandissant de Sidony Box et la création d’un nouvel ensemble Dark Radish.
C’est le moment choisi pour le rencontrer.

Quel est votre parcours en tant que musicien ? Pourquoi la guitare ?

J’ai eu la chance d’être éveillé très jeune à la musique, au théâtre… J’ai commencé la guitare à 8 ans en prenant des cours à la Maison de Quartier de la Bottière à Nantes. Par la suite, j’ai surtout formé des groupes lorsque j’étais au collège puis au lycée pour finir par revenir aux études et intégrer le conservatoire de Nantes assez tard, vers 20 ans, dans la classe de jazz de Jean-Marie Bellec. Bruno Dagada a également eu un rôle de mentor pour moi, il m’a vraiment ouvert les oreilles sur le jazz et l’improvisation modale. Pourquoi la guitare ? Je crois que j’aimais bien le fait qu’on puisse la transporter facilement et en jouer partout. A l’inverse d’un piano par exemple.

Une préférence pour la guitare électrique ou acoustique ? Est-ce que ce sont les mêmes instruments ? Que peuvent-elles apporter de différent dans un groupe ?

Je n’ai pas de préférence mais ce sont effectivement deux instruments différents avec des réponses et des dynamiques propres. Jouer la nylon ou l’électrique dans un groupe change beaucoup de choses : au delà de l’esthétique il y a le timbre, le fait de jouer aux doigts, etc… Au début de Sidony Box et d’Aeris, je me souviens que je jouais la nylon sur des morceaux avec du « gros son » et on me citait souvent le guitariste de Cheval de Frise qui en faisait autant.

Manuel Adnot © Michael Parque

Votre guitare électrique est une huit cordes. Quelles possibilités supplémentaires cela vous ouvre-t-il ?

Cela offre surtout une plus large tessiture et une liberté totale en l’absence de bassiste (notamment avec Sidony Box). Avec la 6 cordes, j’ai toujours éprouvé un manque : j’avais besoin de pouvoir aller plus bas. Sachant que je peux aller jusqu’au mi grave de la basse, ce qui se libère surtout c’est la 7ème corde (le Si grave) qui permet d’articuler des arpèges assez simplement sur plusieurs octaves avec des doigtés qui peuvent se répéter. C’est très visuel.

Il y a un lien direct entre le travail sur l’électrique et celui sur l’acoustique

Ceci dit, bien que je sois un grand fan de la musique de Meshuggah et d’Animals as Leaders qui jouent sur 8 cordes, je n’ai pas choisi la 8 cordes pour forcément faire du métal : je n’ai pas installé de micros actifs, par exemple ; j’ai voulu garder quelque chose d’assez simple. Pour cela, j’ai surtout eu la chance de travailler avec le luthier Cyril Guérin (Albédo guitares) avec qui j’ai passé beaucoup de temps pour obtenir un instrument qui puisse sonner seul, sans effets, avec un beau son clair.

Justement, on sent chez vous une attention particulière portée au son. Que ce soit à l’électrique ou à l’acoustique, pouvez-vous nous en dire plus sur votre manière de jouer et d’utiliser les effets ?

J’aurais beaucoup de choses à dire ! En premier lieu, j’ai toujours pensé qu’il fallait savoir faire sonner une acoustique avant de passer à l’électrique ; pour avoir la même exigence sur le son, le poids des notes, etc. Ensuite, pour ce qui est de mon travail avec les pédales, j’ai cherché à retrouver un son qui se rapproche des nappes de synthé ou de violons avec la technique - justement nommée - du « violing » qui consiste à couper le son lors de l’attaque de la note pour ensuite l’ouvrir et n’avoir que sa résonance (en y ajoutant aussi de la reverb, du delay ou ce que j’appelle un « sample infini »). De cette manière, on se rapproche de quelque chose qui rappelle l’archet. J’ai également poussé à bout mes amplis et pédales. J’ai, par exemple un ampli Marshall acoustique que j’utilise depuis très longtemps et qui produit un larsen d’ « accords » avec les harmoniques lorsqu’on joue avec une guitare acoustique très fort et très près.
Il faut, en réalité, du temps pour connaître son matériel et en sortir quelque chose qui soit à la fois intéressant, maîtrisé et avec lequel on puisse faire de la musique. J’ai le souvenir d’une masterclass de Sylvain Luc qui disait constamment travailler son « son », que rien n’était arrêté. J’aime bien cette idée.

En ce moment je joue à la nylon sans effets, aux doigts la plupart du temps, mais tout en m’inspirant de mon travail avec la pédale DL4 qui permet d’échantillonner le son et le reproduire en direct. On peut dire qu’il y a ici un lien direct entre le travail sur l’électrique et celui sur l’acoustique.

Quand je suis arrivé sur les scènes jazz j’ai un peu déchanté : tout le monde est assis, pas un bruit.

On vous sent très intéressé par l’esthétique de la scène metal. Qu’est-ce que cette scène a apporté à l’instrument ? A la musique en général ? Au jazz en particulier ?

Le metal a apporté à la guitare un son, et aussi - ce que je ne boude pas - de la technique. Il est compliqué de parler du metal de manière générique : il y a comme dans le jazz beaucoup de chapelles - si je puis dire ! -, mais j’ai beaucoup travaillé des techniques très véloces autour du tapping ou du sweeping qu’on retrouve beaucoup chez les guitaristes virtuoses de cette musique. Mais au-delà de ça, ce que j’aime surtout c’est l’aspect cathartique du metal, cette impression de surpuissance, de grandiose. J’ai le souvenir d’une interview du batteur de Gojira, Mario Duplantier, qui disait que quand il jouait il pensait à l’océan, aux montagnes, aux choses immenses qui nous entourent, et c’est exactement ce qu’on retrouve dans leur musique, cet aspect gigantesque totalement fédérateur. Il y a aussi l’énergie du live qui compte et je ne cache pas que quand je suis arrivé sur les scènes jazz j’ai un peu déchanté : tout le monde est assis, pas un bruit, mais j’ai, par la suite, compris qu’il y avait beaucoup d’écoute. Ça amenait un vrai confort et une importance au moment du concert qu’on peut ne pas retrouver sur un concert de metal où, dès qu’il y a un passage calme, tout le monde se met à parler !

Pour ce qui est du jazz, il faudrait savoir où ça commence et où ça s’arrête (je laisse ça à ceux qui ont le temps et l’intérêt pour le faire), mais pour ce qui est de l’apport de l’un à l’autre, franchement, je suis sceptique. J’ai l’impression que les musiciens de jazz connaissent et apprécient Meshuggah - à raison - , mais sauf pour quelques-uns ça s’arrête là. Je n’ai jamais rencontré un « jazzman » me parler d’un album comme Sound Of Perseverance du groupe Death, par exemple, qui pourtant pourrait rapprocher les deux bords, ou de quelqu’un comme Ihsahn (du groupe Emperor) qui fait jouer le saxophoniste de Shining pour un chorus carrément free sur le disque Eremita.

Je préfère voir la musique improvisée sur scène que l’entendre sur disque.

Bien sûr, il ne faut pas généraliser : j’ai, dans un même temps, l’impression que les musiciens « de jazz » de ma génération sont probablement ceux qui vont le plus à des concerts très différents ; que ce soit le metal mais aussi le noise, l’électro, la pop, le free, la musique contemporaine ou autres. Finalement, peu importe qu’ils écoutent ou importent du metal dans leur musique.

A ce propos, quelle place tient le jazz dans vos goûts musicaux ? et dans votre pratique ?

Je ne suis pas du tout à l’aise avec le poids du mot « jazz » et ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir si j’en fais ou pas. Je fais de la musique improvisée, c’est sûr, et cela vient sans aucun doute de mes études au Conservatoire où je faisais de l’improvisation libre, mais c’est à peu près tout. Il n’y a pas de cadence II-V-I dans ma musique, il n’y a pas de « drive »… et, en plus, c’est une question que je ne me pose jamais. En tout cas, j’en écoute très peu, ce qui va sûrement aussi de pair avec l’idée que je préfère voir la musique improvisée sur scène que l’entendre sur disque.

Vous avez joué avec des personnalités aux esthétiques extrêmement variées (Noël Akchoté, Meshel Ndgeocello par exemple). Quel plaisir trouve-t-on dans toutes ces rencontres ?

Meshell nous a invités, Elie Dalibert et moi, pour un de ses concerts à Jazz à La Villette pour lequel on ouvrait avec Sidony Box. C’était lors de l’ouragan Katrina et elle avait dû changer d’équipe au dernier moment ; je crois qu’elle était ce soir-là particulièrement open à faire jouer d’autres musiciens. Elle était sur le même label que nous, c’est comme ça qu’elle nous avait découverts. Elle avait beaucoup aimé l’album Pink Paradise. Elle a été super chouette avec nous. C’est un très bon souvenir : ça fait vraiment plaisir d’avoir une relation généreuse et tout de suite musicale avec quelqu’un d’aussi connu. Pour Noël Akchoté, j’ai un formidable souvenir d’un concert en duo au Lieu Unique, à Nantes. C’est quelqu’un qui a une vraie présence quand tu joues avec lui et je recommencerais avec plaisir !
J’ai adoré ces rencontres. Comme je le dis plus haut, peu importe l’esthétique : ce sont les musiciens qui comptent avant tout.

Sidony Box © Michael Parque

Sidony Box est le groupe qui vous a fait connaître. Le dernier album a été enregistré en quartet avec Gianluca Petrella, qui s’est intégré au point de faire figure de quatrième membre. Racontez-nous comment s’est passée cette aventure ?

C’est Armand Meignan [1] qui est venu nous proposer de jouer avec un tromboniste. Il était question au début de Ray Anderson mais ça ne s’est pas fait pour des questions d’agenda. Il nous a ensuite proposé Gianluca avec qui on a eu un feeling redoutable dès qu’on a joué ensemble. Le timbre du trombone s’est parfaitement intégré au groupe et son travail sur les effets a beaucoup ouvert le jeu, ça a tout de suite marché.

Peu importe l’esthétique : ce sont les musiciens qui comptent avant tout.

Sur April Fishes, on sent une vraie volonté d’écriture et l’envie de développer des climats identiques sur plusieurs pistes. Quelle place tient la composition et les arrangements dans votre cheminement ?

J’ai l’impression d’avoir commencé la musique en composant et je crois que ce qui m’a toujours plu, c’est de créer des choses. Quand j’étais môme, je faisais de petits films, j’ai écrit une BD aussi. Ce qui m’intéressait c’était de créer, peu importait le cadre. La composition fait totalement partie de mon travail musical depuis toujours, c’est sûr. Pour April Fishes, le premier morceau composé a été « Carpe d’Or », le morceau titre. C’est le résultat d’un travail autour de l’hybrid picking de la méthode de Gustavo Assis-Brasil, mêlé à la découverte du morceau « Eureka », que Otomo Yoshihide a repris de Jim O’Rourke, quelque chose de très pop, comme une chanson, mais joué par un orchestre de free jazz.

Je n’ai pas écrit le disque d’April Fishes seul : ça a été un travail à deux avec Adrien Dennefeld que j’ai eu l’occasion de remplacer plusieurs fois dans les groupes We Are All Americans et Ozma et avec qui j’avais envie de travailler. Pour ce qui est des climats, je me suis beaucoup inspiré de la musique des groupes islandais Sigur Ros et Rokkurro.

Parlez-nous de votre disque solo qui sort aujourd’hui : pourquoi arrive-t-il maintenant ? Quel lien avec le Japon (Ueno Park) ?

Ça faisait quelque temps que ça me travaillait. Après avoir beaucoup fonctionné en collectif ces derniers temps, j’ai ressenti le besoin de me recentrer et de retrouver ce pourquoi je faisais de la musique. J’ai aussi eu des problèmes d’acouphènes et d’hyperacousie, qui se sont résolus depuis, mais qui m’ont fait revenir à l’acoustique. Revenir à quelque chose de brut, sans effet, sans ampli, de l’acoustique pur comme peuvent le pratiquer les musiciens classiques, c’est une bonne chose et je me suis rendu compte que ça me manquait terriblement. Je crois que j’ai eu un ras-le-bol de passer par des micros et que le son qui sort sur scène ne ressemble pas forcément à celui qui sort dans la salle. Un total contrôle sur le son, voilà ce qui me manquait.

J’ai regardé autour de moi ce que faisaient déjà - et très bien - les musiciens de mon âge : Julien Desprez, Thibault Florent (SoLoLo) ou Adrien Dennefeld notamment. Je me suis dit que jouer acoustique, c’était aussi prendre le parti d’aller vers quelque chose qui me ressemblait plus. A l’inverse de ce que j’avais déjà fait ici et là dans Sidony Box, Détruire tous les humains ou même certaines plages d’Aeris : jouer électrique avec beaucoup d’effets, jouer des choses très abstraites.

J’avais également envie d’un truc fédérateur mais sans aucune concession, en restant totalement intègre. Sébastien Boisseau est un peu le point de départ de ce projet. J’ai joué en duo avec lui et il a émis l’idée de faire quelque chose de 100 % acoustique. Il m’a en quelque sorte donné le feu vert !

Pour ce qui est du lien avec le Japon, j’y ai fait un voyage avec ma compagne en 2013 et ça a été un vrai moment de grâce. Je ne peux pas vous dire exactement pourquoi le projet se nomme Ueno Park, et j’aime bien l’idée que les gens puissent imaginer leur propre histoire, mais j’ai été passionné par le livre de Yasunari Kawabata Pays de Neige qui m’a beaucoup inspiré pour le disque. Je voulais que cette musique soit liée à des choses très personnelles.

Pour ce projet solo, vous êtes uniquement à l’acoustique (cordes nylon), mais vous avez choisi plusieurs lieux différents pour enregistrer et vous utilisez l’overdubbing. Dans quelle mesure cela affecte-t-il votre manière de jouer, d’improviser ?

J’ai enregistré une soixantaine de pièces pour ce disque. J’allais dans des lieux différents et j’enregistrais immédiatement avec un petit enregistreur. Dans l’improvisation, je réagissais à la pièce, à la réponse du son. Dans la chapelle de l’Oratoire à Nantes, par exemple, dans laquelle je me suis placé au centre, j’ai joué sans m’arrêter pendant une à deux heures tout en enregistrant. En ce qui concerne l’overdubbing, c’est quelque chose que j’avais déjà fait sur le premier disque d’Aeris et j’avais eu un bon feeling avec le principe. Alors quand je suis allé enregistrer d’autres pièces de musique avec David Launay et Hervé Jegaden, à la fin de la session j’ai ajouté deux, trois puis quatre guitares jouées les unes sur les autres, à la suite, sans réécoute. C’est comme si j’improvisais avec moi-même.

Dark Radish © Michael Parque

Vous débutez une nouvelle aventure avec Joachim Florent et Yann Joussein. Quel est ce groupe ?

C’est le meilleur groupe du monde et il s’appelle Dark Radish.
En fait c’est un peu la suite de l’orchestre éphémère « Collision Ensemble » qui avait joué en juin 2015 à la Dynamo à Paris avec des musiciens appartenant à des collectifs différents. Je trouvais que le basse-batterie de Yann et Joachim fonctionnait super et je me suis rendu compte qu’ils n’avaient quasiment jamais joué ensemble, d’où ma proposition ensuite de former un trio avec eux. Nous avons travaillé en février 2016 lors d’une résidence au Pannonica et nous allons probablement enregistrer quelque chose pour fin 2016. Je suis super fier de l’équipe et c’est un de mes projets à venir !