Chronique

Marjolaine Reymond

Chronos in USA

Marjolaine Reymond (voc, electronics) - Yvan Robilliard (p) - Hubert Dupont (b) - Nicolas Larmignat (dr) + invités

Label / Distribution : Cristal Records

Amateurs de voix langoureuses en robe de satin, passez votre chemin. Monomaniaques du standard mouliné be-bop, allez voir ailleurs… vous y êtes. Marjolaine Reymond est chanteuse, mais pas comme ça.

Au lieu de la sempiternelle tartine de ballades sucrées ou de scats gentiment endiablés, elle vous assène tout rondement un concept-album qui donne un peu le vertige, par instants. Ce ne sont pas des chansons, ce n’est pas un recueil. Un opéra, dit-elle : deux actes et un épilogue. Peut-être même un oratorio, vu l’offertoire et le lamento. Mais un oratorio sans dieu…

Un univers complexe, plus amer que doux, virant à l’inquiétant et au narquois sur « The Metal Oxen », « Le Taureau d’Eve » et la seule reprise : « Bitches Brew ». Des poèmes d’auteurs anciens, trois britanniques : Tennyson, Lodge, Browning, et américaine : Emily Dickinson. Une voix qui allie les ressources de la vocalise la plus classique, un sprechtgesang parfois tout droit sorti du Debussy de Pelléas et Mélisande, et des effets de toutes sortes, « organiques » ou électroniques : voix criarde, émission saccadée, cri, qui rappellent Meredith Monk.

La composition est énergique, hachée, marquée de breaks brusques et de faux calmes annonciateurs d’autres tempêtes ; les instrumentistes sont appelés aux mêmes explorations que la chanteuse et jouent de tous leurs référentiels, du classique à l’avant-garde. Les ambiances passent en un instant de la musique de chambre au jazz post-moderne, on croit voir la silhouette de John Greaves tourner l’angle d’une rue dans « Contrapunto para Dino » ou « Chronos in USA », et celle d’Aperghis, au loin, de dos, dans l’introduction du « Royaume des anges »…

Une oeuvre très personnelle et très peu conventionnelle, aux confins de l’expressionnisme et du lyrisme. Unique et dérangeante.