Entretien

Matthieu Metzger

Nous avons croisé Matthieu Metzger à Assier dans tous ses Etats avec le groupe Anthurus d’Archer, à La Villette avec Louis Sclavis et Mathilde Monnier, un peu partout en compagnie de Paul Brousseau… et on pourra bientôt le voir dans l’ONJ de Daniel Yvinec.

Nous avons croisé Matthieu Metzger à Assier dans tous ses Etats avec le groupe Anthurus d’Archer, à La Villette avec Louis Sclavis et Mathilde Monnier, un peu partout en compagnie de Paul Brousseau… et on pourra bientôt le voir dans l’ONJ de Daniel Yvinec. Pas facile de convenir d’un rendez-vous : il est toujours en mouvement. L’interview s’est donc faite par échange de mails…

- A 28 ans, tu as déjà joué avec la moitié du monde du jazz et des
musiques… on va dire aventureuses. Tu peux résumer ?

Houlà, c’est un peu présomptueux tout ça… Ce sont surtout de belles
rencontres - à mon sens - dans certaines ramifications de ces musiques
depuis dix ans. Cela risque d’être un résumé un peu bordélique.
Commençons chronologiquement par les projets In Out Electric group [1], feu Nasal Retentive Orchestra, Turdus Merula, Klone, Anthurus d’Archer. Évidemment, en croisant et recroisant toujours (et ce n’est que le début) la route de Paul Brousseau avec qui je joue et j’enregistre depuis 98. J’ai eu la chance de jouer dans le succulent Grand Ensemble de Marc Ducret - avec Paul d’ailleurs, et avec Denis Charolles par exemple, dans des situations improvisées ou écrites avec Seijiro Murayama, Makoto Sato, Oki Itaru. Il y a eu d’autres rencontres, avec la danse ou dans le milieu du métal, et des compositeurs (pour le duo Turdus Merula avec la harpiste Valérie Patte). Cette année j’ai intégré le quintet de Louis Sclavis et l’ensemble Crwth avec le compositeur François Sarhan, et je découvre également le milieu du trad (et ses mutations) grâce à l’excellente danseuse contemporaine et néanmoins accordéoniste Armelle Dousset.

- Et maintenant l’ONJ. Citizen Jazz a déjà publié une interview de
Daniel Yvinec où il explique pourquoi et comment il t’a « recruté », mais on aimerait savoir comment toi, tu abordes cette nouvelle expérience.

On connaît les différents projets, on attend vraiment de voir ce que
vont être la musique, les arrangements. L’équipe est plutôt jeune, tout
le monde joue de plusieurs instruments et en bidouille d’autres dans son
coin ; donc j’ai hâte d’entendre comment cela va sonner…

- C’est parce que tu es né un 1er mai que tu bosses autant ?

Il est toujours agréable de travailler avec les autres, plein de gens
différents, à trouver des idées qui n’existent qu’en groupe ; mais je ne
suis pas vraiment un hyperactif. J’ai beaucoup plus de mal à travailler
seul. Mes projets « uniquement » personnels, à part le solo, sont encore
pour l’instant sur le papier ou dans la tête, pas vraiment encore
réalisés… avis aux amateurs ! Ces deux dernières années, j’ai sûrement passé plus de temps à enregistrer et produire des disques pour les
autres, et je ne commence à vivre de ma musique « vivante » que maintenant.

- Tu affirmes sur ton myspace que tu as suivi les cours du Conservatoire
« avec plaisir ». Ça existe donc ?

Heureusement ! Surtout avec certains professeurs, évidemment, et
peut-être parce qu’on ne m’a jamais trop forcé. J’ai commencé tout
jeune, comme une activité parmi d’autres.

- Métal, classique, jazz, improvisation, contemporain, chanson… tu
touches à tout. Est-ce un choix ? Une nécessité ? Le hasard ? La crainte
de te retrouver enfermé ? Une sale manie ?

La sale manie de craindre de me retrouver enfermé oui, c’est à peu près
sûr. Toujours un besoin de s’échapper encore ailleurs lorsque l’on a
plusieurs choses très précises à finir ! En tous les cas un non-choix de creuser à fond une esthétique, car il y a des gens passionnés qui font cela excellemment. Et puis si je devais surtout appartenir à un milieu plutôt qu’à moi même, j’aurais vraiment l’impression d’évoluer dans une secte - d’ailleurs, si la scientologie pouvait éviter d’envoyer ses jolis papiers à la maison…

En vérité la notion d’esthétique me fait un peu peur, non que je rêve de baigner dans cette vase post-moderne où tout se vaut et finalement s’affadit, et où il suffit de mélanger un peu de sons informatiques et deux trois musiques « du monde » pour fabriquer un nouveau courant musical, mais surtout parce que la notion même n’existe pas : c’est souvent - malheureusement - une codification a posteriori plus qu’une volonté commune d’aller quelque part.

Je ne jouerai jamais (à regret…) du death metal comme un guitariste
qui a grandi dedans, jamais (avec soulagement) de jazz tel qu’il se
pratiquait il y a 40 ans - c’est-à-dire peu ou prou tel qu’on l’a cristallisé -, je ne serai jamais un soliste classique, c’est trop exigeant peut-être… Tenter de rendre hommage à ce que l’on a pu admirer artistiquement, c’est peut-être humblement essayer de tracer aussi son chemin et donc aller parfois à l’opposé, plutôt que de porter des habits qui ne nous iront jamais.

En ce qui concerne la chanson, disons que je me méfie, juste par principe, de la place de la voix en musique. Parfois, même sans texte, elle peut vite masquer le reste ou du moins prendre plus de place qu’elle ne devrait car elle nous ramène directement à nous même et nous permet de nous identifier très facilement - l’industrie du disque ne s’y est d’ailleurs jamais trompée, bien que les grands « tubes » instrumentaux existent. Participer à des projets où la voix a sa place oui, mais pour se concentrer sur la musique.

- « Rendre hommage à ce que l’on a pu admirer artistiquement », tu disais. Des noms ! Et, au-delà des noms, quelques mots sur ton panthéon personnel…

Je n’ai jamais cherché à connaître l’intégrale de tel ou tel musicien.
Tu achètes le disque du groupe qui t’a plu en concert, ou tu vas voir jouer un groupe dont tu écoutes depuis des années un album, ou juste une chanson, c’est-à-dire un minuscule bout de sa vie. Et puis tu es déçu ! Bon, je suis saxophoniste, impossible d’affirmer que je n’ai pas écouté Coltrane, Dolphy, Shorter, Parker, Liebman, Roland Kirk aussi, voire les tout premiers disques de Gato Barbieri par exemple (mais les tout premiers alors, soyons d’accord…). Le « génie », s’il existe, réside peut-être dans le fait qu’il se manifeste clairement, tout de suite, pas au bout de milliers d’écoutes, et n’a pas besoin de te convaincre ; parfois c’est trop fort, et une seule écoute est déjà trop !

Il y a des concerts, des disques qui marquent, ne serait-ce que quelques secondes, et dont on se souvient très longtemps je crois. Qui suis-je pour ériger un panthéon… il contiendrait des petits bouts de plein de gens en somme : un cheveu de Varèse, un lobe de Tristan Murail, un orteil de Telemann, un oeil de Bach et de quelques-uns de ses fils, des tendons de Meshuggah, les tripes du groupe Death, les yeux de Stravinsky, quelques poils des saxophonistes cités ci-dessus, une oreille d’un membre de Pink Floyd, au choix, et l’autre de Webern, un gros bout de nez de Zappa, le tout pourquoi pas habillé élégamment d’une redingote en peau de Debussy-Ravel-Satie. Le tombeau (dans sa forme baroque, hommage au sens le plus noble) d’un monstre répugnant au final !

- Comment es-tu venu à la musique ?

La plupart du temps avec la voiture de mes parents que je ne saurais trop remercier !

- Quels sont les principaux tournants dans ta vie de musicien ? Les
rencontres déterminantes, les choix… ?

En tous les cas jamais de rupture franche au niveau stylistique,
puisqu’aller d’une musique à l’autre permet de respirer et de prendre du
recul. Les rencontres déterminantes sont toutes celles que j’ai déjà citées, au moins. On apprend des autres, à faire avec eux et les regarder faire aussi,
autant quand ça marche que quand ça ne veut pas ! Donc pas vraiment de tournant : chaque groupe, rencontre ou même diplôme étant une étape ou une expérience qui se tient à elle seule. Le cerveau se charge ensuite de lier tout ça à notre insu, il me semble.

- Tes principaux motifs de satisfaction jusqu’ici ?

Etre libre de pouvoir enregistrer au point de vue technique et « artistique » avec un son qui commence à être personnel (bien grand mot parfois, de même que celui de satisfaction) même si cela n’intéresse personne. Donc fier, plutôt, d’avoir pu avec d’autres faire de la musique par plaisir et sans souci de mode puisque nous sommes maîtres de nos disques : pour faire vraiment court, les albums d’Anthurus d’Archer, les derniers de Klone et de l’ex-NRO, de Kolkhöze Printanium, et ceux de Rhizottome (duo avec Armelle Dousset) et Turdus Merula qui seront bientôt finis et pressés. Cependant chaque nouvelle expérience remet tout en cause, satisfaction incluse !

M. Metzger © D. Gastellu

- Systoles systems, kézako ? (en langage accessible à un béotien,
siouplaît…)

C’est une sorte de nom fourre-tout pour tout ce que je bricole ou répare, une petite marque de fabrique. Cela comprend des pédales d’effets sommaires, des synthés et autres appareils trafiqués / détournés, des talk-boxes, de petits plugins et logiciels aussi. Ce qui m’intéresse est l’utilisation de l’informatique seulement comme « quasi-instrument » au service du vrai jeu en acoustique. Ce serait à terme, j’espère, une hybridation entre électronique et réalité un peu moins sommaire que le simple fait de se reposer sur la qualité de deux enceintes et de quelques machines dont on devient esclave quoiqu’on en dise ; donc des moyens de penser et de jouer, plus tard - les soirs de panne de courant et au lendemain des prochains incidents nucléaires - ce qui nous plaisait de la musique électronique sans en être dépendant.

- Houlà, pas sûr qu’on comprenne tout. Tu pourrais donner un exemple concret ? Quitte à l’illustrer par un lien sur ton site, par exemple…

Oui bon je m’emballe… un point sensible est atteint ! Pour les Signes extérieurs, spectacle de Mathilde Monnier et Louis Sclavis, je joue durant 10 minutes une espèce de « bidule », de « boîte » comme l’appelle Louis. Ce terme convient parfaitement. Mon but est de construire des bidules, des objets un peu limités mais avec une saveur bizarre, et pas forcément des monstres de calcul prétendument capables d’imiter tout et n’importe quoi, de tout faire - c’est-à-dire de ne rien faire. Et pour plus tard, je cherche à les mélanger le plus possible aux instruments acoustiques à tel point qu’on ne sache plus comment est produit le son, tandis qu’il prend tout de même vie dans l’instrument (mécaniques ou haut-parleurs intégrés, etc.). Et pour que si les batteries lâchent, il reste un vrai instrument à redécouvrir ! Bon alors voilà, ça part un peu ailleurs, je mets ce paragraphe en supplément… Si tu connais des gens qu’un débat, une conférence, une autre interview, un livre (!) intéressent à ce propos, qu’ils m’appellent, pas de problème !!

Depuis longtemps intrigué par les ordinateurs et l’électrique, il me
semble que la réflexion sur la musique électronique est sûrement déjà
allée très loin, mais peut-être dans peu de directions. A vrai dire, j’estime qu’elle n’existe pas, ou alors qu’elle se confond presque parfaitement avec la notion d’enregistrement depuis que celui-ci existe, et que les « machines », comme on dit maintenant, sont une manière d’amener le studio sur scène.

Par rapport aux pionniers qui construisaient leurs instruments, pensaient la synthèse du son à partir de réactions électriques plus ou moins hasardeuses ou intégraient vraiment la diffusion du son au clavier, la création informatique semble bien pauvre, limitée à une suite de calculs « complexes ». Il en résulte une sorte d’idée pure du son, le plus souvent assez peu évoluée du point de vue de l’écriture rythmique ou harmonique d’ailleurs, détachée du problème de sa diffusion sonore, comme s’il manquait des étapes, une sorte de « beaujolais nouveau » sonore, prometteur ou pas, mais en tous les cas pas très digeste ! On essaie d’ailleurs, pour pallier cela, de multiplier les haut-parleurs dans tout les sens ou de pousser le volume, par exemple,
pour flatter l’auditeur. Cependant le phénomène sonore n’est pas quelque chose qui vous vise tel un sniper pour faire rentrer une idée dans le crâne sans passer par la case cerveau (sauf si vous abusez de certaines chaînes de télévision et de blockbusters, évidemment). Le son, dans ce qu’il a de plus musical, est présent partout, rebondit, se bonifie d’autant, et c’est à l’oreille d’aller le chercher. Je parie dix contre un que des enfants resteraient subjugués par une vieille pièce radiophonique en mono, diffusée par un gramophone ou un poste à galène, tandis que la même histoire produite de nos jours en Dolby 5.1 les ferait d’abord baver d’aphasie, puis pleurer d’effroi !

Manquerait-il des étapes dans la façon d’aborder cette musique dite
« électronique » ? Attention, je suis le premier à défendre une musique, une danse, n’importe quoi de cérébral si le résultat me plaît - et il va falloir en défendre dans les prochaines années… Devançons tout de suite les détracteurs, on pourrait évidemment rapprocher cette manière de composer de l’idée « noble » de la musique dans la pensée antique, où tout est question de rapport, d’équilibre, de « musique des sphères », des astres, en opposition à sa réalisation, bien trop vulgaire et réservée au saltimbanque ! Mais dans notre cas, le philosophe est en même temps le saltimbanque, et même s’il existe des milliers de logiciels, de pédales d’effets, de manière de les régler, cela commence et finit presque, électroniquement du moins, par le même principe, les mêmes composants, et une sortie à câbler on ne sait où, comme si tout le monde se disait original, mais avec la même voix, et bien synchronisé ; une forme de pensée unique.

Evidemment je ne lance pas ce débat chaque fois que je vois un
ordinateur s’allumer, tant s’en faut, je suis capable de faire mentir tous ces voeux pieux chaque jour, mais ces questions jalonnent mes réflexions musicales et me semblent nécessaires ! Avis aux amateurs qui auraient envie de prolonger la discussion…

par Diane Gastellu // Publié le 28 octobre 2008

[1Un disque avec Claude Barthélémy en invité.