Chronique

Mats Gustafsson/Kurt Newman/Mike Gennaro

Port Huron Picnic

Gustafsson (ts, bs, fl, fluteophone), Kurt Newman (el-g), Mike Gennaro (d, perc)

Label / Distribution : Spool

Le compagnon de Ken Vandermark, de Marilyn Crispell, de Barry Guy, de Peter Brötzmann encore, ne saurait mentir, en ses amitiés musicales, sur le fond de ses choix esthétiques. « Sans concession » répète-t-on à l’envi. C’est à voir. On concède toujours au désir, au besoin, de laisser une trace, par exemple ; franchir la porte d’un studio n’est pas sans conséquences, et ce geste signifie qu’on accorde une valeur à l’enregistrement, ce que de très grands chefs « classiques » ont tenté, en vain au bout du compte mais à leur corps défendant, de dénier. C’est déjà un point. La musique improvisée « à l’instant du jazz » – je reprends ce terme d’un écrit rédigé à deux voix avec Jean-Pierre Moussaron – pourrait se contenter de ce qui fonde son mode privilégié d’apparaître, mais il lui faut aussi reconnaître que la répétition du signe visible (dans les bacs et les revues) est la seule et unique condition de son inscription dans le réel. Je dis bien le réel, et pas la réalité. Le réel, je le rappelle, a quelque chose à voir avec ce qui ne trompe pas.

Nous y voici. Je ne suis pas trompé lorsque j’entendais Peter Brötzmann passer « à l’énergie », avec la complicité d’un batteur débutant, angélique et déterminé (Nîmes, « Printemps du jazz », 2001). Je ne suis pas trompé, mais je trouve ça un peu court. Un peu simpliste en somme, si je puis me permettre, de demander à la musique d’intégrer en ses diverses apparitions les codes sur lesquels elle joue avec les formes qui s’en dégagent. Le bruitisme généralisé – je ne fais ici aucune allusion à l’esthétique en vogue au début de ce siècle en Italie – pour aussi sincère qu’il soit ne saurait se contenter de l’écho qu’il rencontre auprès de ceux qui y entendent l’expression brute du cri primal, ou primaire, ou même la traduction musicale du pointillisme pictural. Il doit, il peut encore, dégager de ses tentatives l’articulation d’un signifiant nouveau (S2) au (S1) qu’il répète. Je ne suis donc pas trompé par le disque de ces trois instrumentistes, j’y entends tout à fait ce qu’ils ont à dire, je dis seulement à mon tour que la séance pourrait être plus courte, ou que, comme cela se produit dans « Chicago », la seule tenue d’un trait ajoute à la brillance du son la relance du sens. Reste qu’il faut entendre ici qu’il n’est pas interdit, mais pas non plus obligatoire.