Alain Gerber
Bu, Bud, Bird, Mingus, Martial et autres fauteurs de trouble
Label / Distribution : Alter Ego Editions
Ce livre est un recueil de textes, initialement parus dans divers magazines (Senso, Jazz Magazine, Cahiers du Jazz) ou écrits pour accompagner des disques (souvent produits par Jean-Jacques Pussiau, mais aussi par des compagnies dites « majeures »), ou encore totalement inédits - et il s’agit souvent alors de poèmes. Le tout ponctué en sa toute fin d’un envoi, celui-là même qu’Alain Gerber écrivit pour l’ultime séquence de son émission « Le Jazz est un roman » en juin 2008. Voilà pour la description formelle de l’ouvrage, paru en novembre 2014, déjà chroniqué avec pertinence par Michel Arcens (ici) et Jacques Aboucaya (là).
On y retrouve ce qui a fait, et fait de plus en plus et de mieux en mieux, la manière et le succès de l’écrivain, romancier, critique de jazz malgré tout (ou malgré lui), soit une façon de dériver d’un thème ou d’un sujet vers ses innombrables variantes et variations, toutes propres à susciter chez le lecteur quelque chose qui renvoie à la « quintessence » du sujet ou du thème, et l’incite le plus souvent à vouloir (s’il s’agit d’un musicien de jazz par exemple) en savoir un peu plus par l’écoute. Sont donc invoqués, sous différentes formes littéraires et dans l’ordre alphabétique, quelques grands et petits noms de la chose « jazz », de Henry « Red » Allen à Kenny Werner en passant par Chet Baker, Edouard Bineau, Jean-Paul Celea, Ray Charles, Christian Escoudé, Tony Fruscella, Grant Green, Lionel Hampton, Lee Konitz, Guy Lafitte, Charles Mingus, Claude Tissendier, et j’en passe énormément.
Mais l’originalité profonde de ce « recueil » est à chercher quelque part du côté de son titre : « Bu, Bud, Bird », cela sonne comme un balbutiement, un babil. On dirait un enfant qui joue avec les mots, les sons, au moyen de sa bouche. En un sens c’est le jazz, le scat, le bop, Gillespie, Eddie Jefferson, et autres… fauteurs de trouble. Et le trouble, c’est donc ici - en dehors des sujets eux-mêmes - la poésie, l’allitération, le travail des mots et des sons. Voilà bien où Gerber nous conduit : au-delà du roman, le jazz est un poème. Il se pourrait après tout (mais ça c’est moi qui le dis) - et c’est même le vœu secret de pas mal de « jazz critics » - que la fin ultime des textes sur le jazz soit de l’ordre du haiku. Et si je suis sensible, tout particulièrement sensible, à cette dimension, c’est qu’un autre écrivain « de jazz » hélas disparu (Jean-Pierre Moussaron) avait, lui aussi, tenté l’aventure de la poésie. D’une poésie comme « avenir » et « à venir ». Dans son cas, cet « à venir » est resté (peut-être provisoirement) dans les cartons. Heureux qu’ici, il soit sorti de la boîte.