Scènes

Moscow, Idaho (4) - Glad Hamp

Poursuite de la quête initiatique de Philippe Méziat au pays de Nez Percés : Lionel est-il glad ?


Poursuite de la quête initiatique de Philippe Méziat au pays de Nez Percés : Lionel est-il glad ?


« Glad Hamp » est le nom du label des disques de Lionel Hampton depuis l’année 1960, mais il faut dire qu’on se perd dans le fatras des éditions depuis ces années là, et que le pire – et le pirate – avoisinent le meilleur dans la production hamptonienne… Mais il fallait souligner ce trait signifiant du bonheur.

Lionel Hampton est sans ego. Il faut dire ça d’entrée, et souligner que si, en un sens, cet homme n’a pas son pareil aujourd’hui (seul Benny Carter, parmi les grands fondateurs, est encore vivant), c’est en un sens plus profond qu’il n’a pas d’ego, c’est à dire de « moi », au sens donné à ce terme dans la topique freudienne. La bouche ouverte aspire le monde et laisse passer le murmure de la création. Les yeux amusés se rient de tout, et du monde sérieux à l’occasion. « Yeah ! » dit-il sans cesse, convaincu qu’il vaut mieux acquiescer à tout que se battre sur des terrains où le combat est perdu d’avance. Cette position subjective, paradoxalement fortement « désubjectivée » justement, a permis à Lionel Hampton de mener une carrière exemplaire, et de réussir superbement dans ses entreprises. Les diverses fondations sont là pour en témoigner. Et si aujourd’hui il continue à diriger son orchestre, c’est moins pour lui-même que pour tous ceux qui vivent de et par l’entreprise. Lionel Hampton est encore parmi nous, mais son nom est déjà presque devenu un nom commun. Entouré et choyé par Gloria et Rubin, qui s’occupent de lui en permanence, le vibraphoniste continue à discuter directement de ses affaires. C’est un vieillard, diminué physiquement mais intellectuellement lucide. C’est un vieil homme que tous les musiciens viennent embrasser. Pour un peu, c’est un saint, le premier de l’histoire du jazz.

Car il faut imaginer Lionel Hampton heureux. Point n’est besoin d’imaginer d’ailleurs, il suffit de le regarder jouer, et de l’écouter, depuis ses débuts. Showman et swingman de génie, il est traversé par la pulsation pure, et dans ses grands moments il peut enrouler un thème sur lui-même jusqu’à l’explosion. « Tu swingues comme une porte », lui aurait dit Louis Armstrong. Voilà. Lionel Hampton est une porte, une porte qui bat d’avant en arrière. Il est la porte du saloon qui se balance, la porte du paradis. Une certaine image de la béatitude.