Chronique

The Newest Sound You Never Heard

Ran Blake (p), Jeanne Lee (voc)

Label / Distribution : A-Side Records

C’est manifestement de plus en plus vrai : chaque « invention » du trésor que constitue un enregistrement inédit de Ran Blake et Jeanne Lee donne à entendre un son nouveau, qu’on n’a jamais entendu jusqu’au moment où on le découvre.

Le titre du disque RCA paru en 1962 est donc d’une totale actualité, au moment même où l’on écoute pour la première fois ces « live » enregistrés en Europe (Belgique) en 1966 et 1967. La pochette reprend les éléments du « Newest Sound Around », mais elle en efface les couleurs vives, plongeant d’entrée le regard dans une grisaille qui renvoie à la disparition de la chanteuse en 2000, et plus généralement à l’usure du temps.

Mais si le regard se perd, ou se grise, l’écoute s’impose dans toute sa vérité, et dans une acuité que la distance temporelle rend encore plus vive. On savait que Ran Blake et Jeanne Lee avaient travaillé à poursuivre leur quête de lecture des grands standards de jazz (et autres trouvailles), mais on en a ici la trace éclatante, brillante et réelle. Et le choix, pour commencer, de ce « Misterioso » dont le texte a été écrit par Gertrude Stein est un coup de maître : suspendus à ce mystère, nous ne succombons pas avant la fin des deux CD.

La voix de Jeanne Lee est d’une beauté transparente et solaire. Immédiatement reconnaissable, elle sublime gospels, blues et songs sans jamais rompre le lien qui la rattache à ces fondements, en y apportant cependant toujours une modernité stupéfiante. Minimaliste parfois, capable de déchaîner en lui les échos d’un Monk transfiguré, Ran Blake dialogue autant qu’il soutient une aventure unique en son genre, dont on découvre ici des aspects totalement méconnus. L’ensemble est à mettre au crédit aussi de cette institution imparable qu’est le New England Conservatory de Boston : la plus ancienne école de musique privée des U.S.A.