Scènes

Mulatu Astatke à la Fiesta des Suds à Marseille

Un pas en avant dans un jazz luxuriant…


La Fiesta des Suds, en cette fin octobre 2012, une semaine pour les rockailleux de Marseille et alentours. Programmation festive, ça va de soi, avec même quelques bacchanales de jazz. On y avait savouré, en 2010, un Wayne Shorter dans sa plus belle forme. Ce samedi 27 se devait donc de renouer avec ce sens du « melting potes » et du shaker bien tempéré. Un mistral à décorner les chapiteaux accentue la fusion, du moins celle des publics, pour cause d’annulation des concerts de Shaka Ponk et Wax Tailor. Du coup (de vent), une partie du public renonce au chapiteau mais pas à la musique. D’où l’assistance gonflée pour la prestation à couvert et bien au chaud, à tous les sens du terme, de Mulatu Astatke à la tête d’une formation luxuriante, celle de Step Ahead, tous musiciens remarquables.

© Gérard Tissier

Le monde musical aussi aime barboter dans le jus des étiquettes. Le jazz n’y échappe pas. Ainsi Mulatu Astatke, souvent présenté comme « le père de l’éthio-jazz ». Le concept se paie en exotisme et amasse des foules peu regardantes – éthio ou ethno, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Ce sera le cas mais, en l’occurrence, en plein sur la planète jazz. Mulatu Astatke, certes éthiopien de naissance (1943), a surtout vécu dans le monde anglo-saxon (Londres, New York et Boston) et s’est très tôt imprégné du jazz afro et latino-américain. Dans les années 1970, il joue avec de nombreux artistes de jazz, dont Duke Ellington. Il en vient cependant à rejoindre ce « jazz du pays » qui s’est forgé à partir des années 1950 dans les hôtels et bars d’Addis-Abeba, sous les influences multiples des Amériques et d’Europe (rock et pop y compris) intégrées à la musique traditionnelle des azmari, chanteurs nomades. Cette fusion s’est renforcée en catimini sous la dictature du marxisto-délirant Mengistu, plus sensible au fusil qu’au swing métissé. Et aujourd’hui on peut en effet parler de jazz éthiopien, émanant d’un des rares pays d’Afrique à avoir intégré le jazz à sa culture. Mulatu Astatke aura apporté sa pierre à ce mouvement, même s’il ne s’en inspire que lointainement dans sa production, marquée par sa propre originalité.

© Gérard Tissier

Que nous donne-t-il à entendre ? Un jazz « pure player » avec son instrumentation occidentale – pas d’instrument de tradition éthiopienne, pas une voix qui rappellerait les hauts plateaux d’Abyssinie. Et, à part lui, pas un musicien d’origine éthiopienne, semble-t-il. [1] Mais une matière sonore forte, non pas tant en puissance qu’en densité. Une matière assez enroulée sur elle-même, envahissante, enivrante, captivante. Un peu bouillabaisse au départ, du fait d’une sono encore sous le coup du précédent concert de hip-hop ; de ces sonos pour amochés des tympans – exit le vibraphone du leader qui, d’ailleurs, a donné bien plus et mieux aux percussions. Enfin, le son s’est amélioré dans la définition, toujours peu dans la nuance avec des instruments à cordes (violoncelle et contrebasse) tendance rock metal. Et les lumières à l’avenant, type DCA, Londres, 1942, un soir de Blitzkrieg.

Même perturbée, la musique sait s’imposer par le talent. Ce groupe en a et l’a démontré selon le déroulement des sept ou huit chorus successifs. Mention spéciale à Daniel Keane au violoncelle volcanique, et à Byron Wallen pour ses étincelles et attaques foudroyantes à la trompette. Plutôt jeune, le public a jubilé, dansant d’un pied sur l’autre, la mine réjouie. En somme, une Fiesta.


Mulatu Astatke (comp, vb, perc, dir), James Arben (ts, bcl), Byron Wallen (tp), Alexander Hawkins (p, cla), Daniel Keane (cello), Neil Charles (b), Tom Skinner (dm), Richard Baker (perc).

par Gérard Ponthieu // Publié le 10 décembre 2012

[1On se doit ici de mentionner une réussite étonnante, celle du CD Badume’s Band paru chez Innacor. Un chœur éthiopien d’inspiration traditionnelle, réuni autour de la chanteuse Selamnesh Zemene et de musiciens… bretons.