Chronique

Nicola Sabato trio

Bass Tales

Nicola Sabato (b), Tamir Hendelman (p), Germain Cornet (dm)

Label / Distribution : Black & Blue

D’aucuns supputent un « ronronnement pulsatif radical » dans le jeu du contrebassiste Nicola Sabato. D’autres disent qu’il s’accroche comme du velcro à ses partenaires du trio ici réuni (fantastique Tamir Hendelman au piano, malicieux Germain Cornet à la batterie). Et si, comme le laisse à entendre le titre de l’album, le leader était tout simplement un conteur ? Devenir conteur, a fortiori conteur de jazz, n’est pas chose aisée : une poétique reposant sur l’oralité, une capacité à faire naître des séquences imagées et à captiver l’auditoire par des histoires titillant l’imaginaire, touchant au légendaire voire au mythologique… pari réussi sur cet album !

La cohésion du trio est telle qu’elle ne peut que reposer sur ce fondamental jazzistique qu’est l’oralité. Ainsi de cette composition de Sabato, « Scarlett’s Blues », où l’interplay est si profond que l’on ressort comme transformé de son écoute. Ou bien encore d’un arrangement ô combien délicieux sur « Tricotism » d’Oscar Pettiford : prenant au mot son légendaire prédécesseur (on reproche souvent aux bassistes de « tricoter » et Pettiford en a fait un néologisme parfaitement bebop), le trio joue des codes de la « tradition » avec un humour décalé en signe d’un respect profond pour la pièce originale. Sur ce thème fondateur de la contrebasse jazz moderne, Sabato ne s’autorise d’ailleurs pas à reprendre le solo même de son compositeur et préfère offrir à sa mémoire un chorus d’une évidente limpidité, et régaler ses partenaires d’un accompagnement débordant de sensualité. Car sous ses doigts la « grand-mère » (personnage de certain conte…) se love dans les entrelacs de swing comme une chatte sur un toit brûlant.

Il a ainsi retenu la leçon de Ray Brown (dont il adapte, plus qu’il ne reprend, deux thèmes) : la contrebasse est chant avant tout. Et quelle bonne idée cette livraison de « Three Views of a Secret » de Jaco Pastorius : il rend hommage à ce mythe tragique de la basse électrique en magnifiant les harmoniques dont le bassiste de Weather Report avait le secret, restituant avec son trio la saveur bop de cette composition (« Pasto » lui-même n’avait-il pas transposé le jeu de Charlie Parker sur la « quatre-cordes » ?). Dans le registre mythologique, on retrouve évidemment Mingus (livraison poignante de « Good Bye Porkpie Hat », mais comment aurait-il pu en être autrement ?), voire Bob Haggart (compositeur du standardissime « What’s New »… pour une fois qu’un standard de jazz est l’œuvre d’un contrebassiste il eût été dommage de passer à côté), ou Paul Chambers (« Tale of the Fingers » : oui, ses doigts racontaient des histoires sans pareilles), ou encore Sam Jones (« Unit Seven ») qui fut un des pourvoyeurs du hard-bop. Des légendes vivantes sont présentes dans ce panthéon : qu’il s’agisse de « Sir » Ron Carter dont le trio saisit l’exigence élevée du blues urbain sur « First Trip », ou encore de Christian McBride -« The Shade of the Cedar Tree » comme un hommage au boisé fantasmé de l’instrument, dont le parfum enivre par la grâce de son exécution.

Loin de jouer au « bass-hero », Sabato donne toujours à ses partenaires l’occasion de s’exprimer dans des échanges et des chorus somptueux, rappelant le rôle essentiel d’accompagnement de son instrument, sans fausse modestie cependant, tant ses soli sont d’une perfection rare.