Chronique

The Liberation Music Collective

Rebel Portraiture

Matt Riggen (tp, lead), Hannah Fidler (b, lead), divers musiciens

Label / Distribution : AD ASTRUM RECORDS

L’orchestre de jazz radical d’Indianapolis est de retour avec un second album placé sous le signe d’une grande maturité. De fait, le couple co-fondateur de l’ensemble, loin de s’être assagi, assume plus que jamais un propos internationaliste et révolutionnaire sans jamais tomber dans une caricature musicale.

Alors que l’on attendrait des hymnes dionysiaques, les compositions se font orphiques, et donc d’autant plus poignantes. Les chorus des différents solistes, loin d’être des performances individuelles, se fondent dans les manifestes à visée émancipatrice : l’un des co-fondateurs et chef d’orchestre, Matt Riggen, délivre certes de superbes solos de trompette, mais il reste plus que jamais au service d’un collectif qui assume vraiment son nom. L’évolution de ses chorus au sein d’un grand ensemble (19 musiciens !) rappelle le jeu de Don Ellis avec son big-band « Tears of Joy » : un son qui s’immisce dans le groupe subrepticement, entre douceur et rage, quittant l’orchestre pour mieux le retrouver et, au final, en valoriser toutes les composantes. La dimension politique en plus. A cet égard, les chorus de trombone, particulièrement enlevés, sont autant d"hymnes mobilisateurs.

Les compositions se déploient au fil d’interventions de spoken word d’une rare intensité. Aussi, elles ouvrent des espaces pour de remarquables solos, tel ce chorus de guitare sur « Kent State », dédié à des étudiants abattus par la garde nationale étasunienne lors de manifestations contre la guerre du Vietnam : les réminiscences folk, avec des fonds de cuivres rappelant les rythmes et mélodies des slogans pacifistes, nous transportent dans quelque grande marche contre l’Empire. Certaines introductions sont absolument délicates, soulignant la fragilité des vies de lutte, comme par respect pour les martyrs, tel ce duo contrebasse/balafon sur un thème en hommage à Noxolo Nogwaza, militante LGBT sud-africaine assassinée.

Les traits d’orchestre, s’ils sont bien sûr des réminiscences des riffs des big-bands traditionnels, n’en sont pas moins autant d’occasions de souligner délicatement les hommages aux martyrs des luttes dont il est ici question, à ces rebelles dont il s’agit de dresser les portraits. L’écriture est finalement d’autant plus subversive dans l’Amérique WASP qu’elle est inspirée de cantiques (l’une des sources d’inspiration principale de la bassiste et co-cheffe d’orchestre Hannah Fidler, dont la musicalité sur quatre cordes n’est plus à prouver). Ces chœurs vous arrachent plus que l’âme (si tant est que cette dernière existât hors de la contrebasse) : on souffre avec les rebelles assassinés jusque dans notre chair.

La musique orchestrale se déploie au fil des pièces en empruntant peu ou prou des modes musicaux spécifiques aux univers culturels des militant.e.s qui ont péri dans leurs combats : on voyage au gré des luttes, embarqué par le souffle des combinaisons harmoniques. Ainsi des réminiscences orientales pour la mémoire de Ruqia Hassan, journaliste démocrate opposante à la dictature syrienne, ou encore de subtiles inclinations ghanéennes pour célébrer le combat de Berta Cáceres, activiste écologiste assassinée par une milice à la solde des multinationales au Honduras en 2016… si ça ce n’est pas de l’internationalisme !

Un magnifique disque de deuil militant donc, qui ne va pas sans rappeler évidemment les travaux antérieurs d’un Liberation Music Orchestra, mais qui s’inscrit plus globalement dans le travail de résilience dont le jazz est vecteur, depuis les accompagnements des funérailles à la Nouvelle-Orléans lorsque cette musique s’inventa au début du XXe siècle. Et que le Liberation Music Collective n’a de cesse de réinventer.