Chronique

Nicolas Repac

Black Box

Label / Distribution : No Format !

Ou la musique comme boîte à bijoux.

Les bijoux, ce sont des voix venues du monde entier qui, à leur manière, chantent l’exil. Work Songs noires du début du siècle, voix africaines, chant tzigane serbe, conte d’Haïti ou beat de Bo Diddley, tous ne sont pas nommés, mais tous ont en commun ce petit quelque chose — une plainte, un rire, un groove — qui les apparente au blues, ou plus largement, à la musique noire. « Peut-on parler de musique noire ? » se demandait l’un des derniers numéros de l’excellente revue Volume !, chroniqué dans ces colonnes. Pourquoi appeler Black Box un projet qui réunit aussi bien des chants tzigane et amérindien que des voix noires issues du rap, du blues, du rhythm’n blues ou encore des « musiques du monde » africaines ? C’est comme si la « musique noire » accueillait en son sein les exils du monde, le fracas des identités perdues et la douceur du chant de ceux qui les recousent, peu à peu.

Enregistrées pour l’occasion ou récupérées comme des documents d’archives, de nombreuses époques, situations et lieux différents se retrouvent dans cette boîte à bijoux. « Cenas de Gaby » convoque la voix du chanteur angolais Bonga, condamné à l’emprisonnement puis à l’exil par son pays. Ses chants de révolte font écho à ceux de Cheikh Lô au Sénégal, Ti-Coca en Haïti, et des travailleurs et prisonniers noirs collectés par l’ethnomusicologue Alan Lomax (mort en 2002) des années 1930 à la fin des années 1940. Pour toutes ces voix, Nicolas Repac fabrique un écrin à la mesure de leur talent. En épousant la forme, le timbre et le rythme de chacune d’entre elles, il les accompagne à la guitare et aux machines, en amoureux des sons. La rencontre entre des sonorités anciennes et contemporaines, des voix nues et un habillage électronique construit les contours d’une boîte étonnamment homogène dont la musicalité, si elle s’incarne dans différentes ramifications stylistiques, ne fait qu’une.

Connu pour travailler avec Arthur H., Repac est un formidable guitariste et arrangeur. Il avait déjà publié une réinvention similaire du jazz, Swing Swing chez No Format en 2004 — label à qui l’on doit aussi, entre autres, l’excellent Skyscrapers and Deities de Kouyaté-Neerman. De la disparité des sources sonores, il a révélé, après un passage par la boîte noire, le fil commun : une certaine lumière noire, plongée ici dans une ambiance à la fois groovy et cotonneuse, rugueuse et confortable, humaine et électronique.