Chronique

Ahmad Jamal

Saturday Morning

Ahmad Jamal (p), Reginald Veal (db), Herlin Riley (dr), Manolo Badrena (perc).

Label / Distribution : Jazz Village

Voilà un album d’Ahmad Jamal qui rappelle beaucoup son plus grand succès, le fameux But Nor For Me : At The Pershing, sorti en 1958 chez Chess. Appliquée à beaucoup d’artistes, une telle remarque serait négative, alors qu’ici, on a plutôt le sentiment d’un accomplissement empreint de la sérénité des plus grands. Avec Saturday Morning, Jamal touche à une sorte de perfection à la fois rythmique et lyrique.

Enregistré aux Studios La Buissonne, à Pernes-les-Fontaines, dans le Sud de la France, en février 2013, Saturday Morning est le frère cadet de Blue Moon, déjà réalisé avec le même quartet. Reginald Veal est à la contrebasse, Herlin Riley à la batterie et Manolo Badrena aux percussions. Ce dernier, qui figura pour la première fois sur un disque de Jamal, Rossiter Road, (Atlantic), en 1986, apporte une forte dimension latine à l’ensemble. C’est comme si l’instrumentarium était tout entier tourné vers la rythmique, et pourtant, rares sont les disques aussi délicats et mélodiques. Ensemble, ils forment un équilibre remarquable. Les percussions soulignent de couleurs afro-caribéennes discrètes le toucher frappé de Jamal, qui semble toujours conduire le rythme, et non le suivre.

Les ballades sont un peu trop rapides pour en être vraiment, et les morceaux d’inspiration funk un peu trop lents, comme si le pianiste déjouait continuellement les attentes. Au détour d’une introduction il place une citation, commence un thème puis part sur un autre, bifurque sans cesse et s’amuse avec l’auditeur. Une reprise de Duke Ellington (« I Got It Bad and That Ain’t Good »), un hommage à Horace Silver (« Silver ») et neuf compositions : s’il s’inscrit pleinement dans l’histoire du jazz afro-américain, Jamal atteint ici une épure rare. Même les silences groovent. C’est dire.